Vigile pascale

(Mc 16,1-7)

                                                                                     Avril 2021

Frères et sœurs, comme il y avait trois apôtres à Gethsémani, le soir de l’arrestation de Jésus, il y a, dans cet évangile, trois femmes. Mais là où les hommes n’eurent pas « la force de veiller seulement une heure » (14,37), les femmes, elles, s’éveillent « de grand matin [… pour se rendre] au tombeau » (2). Ce sont ces mêmes « femmes, nous le savons, qui observaient de loin » (15,40) la crucifixion de Jésus, sa mort et sa mise au tombeau. Elles sont le dernier reste, le petit reste, qui sera fidèle à Jésus jusqu’au bout. Les autres, les hommes, eux, se sont enfuis !

 

Mais est-ce si sûr ? En est-il vraiment ainsi au sujet de ces femmes ? L’évangile que nous avons lu, dans la version que nous propose la liturgie depuis quelques années, s’achève sur l’envoi des femmes aux disciples et à Pierre pour leur annoncer que Jésus les « précède en Galilée […] comme il […] l’a dit. » (7). Mais cette fin d’évangile a un côté peut-être un peu trop heureux, et elle semble gommer les jours tragiques qui l’ont précédée. Or la Résurrection de Jésus en saint Marc n’a rien à voir avec la fin d’un roman qui se terminerait bien, où tout rentrerait dans l’ordre, où tout redeviendrait comme avant. L’ancienne traduction liturgique ajoutait un verset, le verset final de la version initiale de l’évangile de Marc, avant qu’au IIe siècle déjà on juge nécessaire de rajouter une autre finale car celle-ci semblait trop abrupte et déroutante. Ainsi, après ce que nous avons entendu, il faudrait lire : « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. » (8).

Alors si les hommes ont abandonné Jésus, s’ils se sont enfuis, par peur, force est de constater que les femmes, elles aussi, ont eu peur et qu’elles aussi - mais à un autre moment, pas forcément plus glorieux - se sont enfuies « toutes tremblantes » et se sont tues. Dire cela n’a pas pour but de tenter de réhabiliter l’orgueil blessé des hommes ou de rabaisser le mérite des femmes, mais bien plus profondément de nous interroger sur le Salut qui nous est offert, sur la perception et la réception que nous en faisons, et de nous demander si cette Bonne Nouvelle est réellement accueillie par nous comme une Bonne Nouvelle. En effet, si la réaction des femmes face à la Résurrection est si proche de celle des hommes face à la Passion, cela nous montre bien que Passion et Résurrection sont indissociables. Indissociables parce qu’il faut que la première ait lieu pour que la seconde arrive. Mais surtout indissociables parce que la Résurrection, comme la Passion, ne nous laisse jamais indemnes dans notre vie, dans notre chair. Elle est toujours un déplacement, une nouveauté, une sortie de notre confort et de nos certitudes. Et, avouons-le, nous n’aimons pas cela. Alors, nous résistons, et même parfois, peut-être comme ces femmes, nous fuyons, pour conserver le monde d’avant, pour préserver ce que nous connaissons. La Résurrection peut nous paraître inconfortable parce qu’elle nous échappe, à l’image de ce corps de Jésus qui n’est plus là. Elle nous rappelle que nous ne maîtrisons pas grand-chose, que nous ne possédons pas davantage, que nous sommes, comme je le disais au Jeudi Saint, vulnérables, et que notre salut ne se trouve que dans la foi que nous accordons à Celui qui nous a aimés. La Résurrection est un nouveau départ, un commencement, un inconnu, qu’il va falloir découvrir et explorer. La suite de l’histoire, celle de l’évangile et de celle de nos vies, n’est pas toute tracée, mais elle est à construire, avec son lot d’incertitudes, de risques et d’inévitable confiance. La Bonne Nouvelle annoncée par ce « jeune homme vêtu de blanc » (5) ne nous fait pas entrer dans un monde idéal, mais dans un monde où nous avons pour seule certitude, comme Jésus nous l’a dit, d’être précédés par le Ressuscité et de pouvoir enfin, et de pouvoir encore, le voir, le contempler, vivre en sa présence. La Bonne Nouvelle est encore à entendre et à vivre ! Pour cela, il nous faudra cheminer sur les routes de Galilée, ces routes qui sont celles du quotidien, qui sont aussi celles « du carrefour des nations », du cosmopolitisme, de ce qui nous est étranger et ignoré. Aller à la rencontre de l’autre, à commencer peut-être par le non-chrétien, pour rejoindre le Ressuscité. Partir sans certitudes, sans leçons à donner, mais cheminer avec d’autres comme des compagnons de route, comme des disciples et non des maîtres, en quête du même salut, en quête du même visage.

Frères et Sœurs, la Bonne Nouvelle pour nous est que nous sommes appelés à nous mettre en route, à ne pas nous arrêter à nos craintes légitimes, à pénétrer dans la nouveauté, en nous laissant entraîner par l’annonce qui nous est faite. C’est dans ce mouvement, c’est sur cette route, qu’en marchant à la rencontre du Ressuscité, nous trouverons la vie.