Epiphanie
Janvier 2023
Frères et sœurs, il y a quelques jours l’Eglise célébrait les funérailles du pape Benoît XVI. Ce matin, pour commenter l’évangile que nous venons d’entendre, j’aimerais m’appuyer sur la dernière homélie de l’Epiphanie qu’il prononça comme Souverain Pontife en 2013.
S’il existe des reliques des mages, si nous en avons fait des rois, si nous leur avons aussi donné des noms, nous ne savons finalement rien d’eux. Pourtant, nous l’avons dit, notre imagination n’a pas manqué de faire son travail. Et il existe peut-être une raison à cela. Si ces hommes nous ont tant intrigués, si nous avons cherché à leur inventer une histoire, une vie, c’est bien parce que ce que nous en dit l’Evangile ne nous laisse pas indifférents. « Quel genre d’hommes […] étaient-ils donc ? », demande Benoît XVI, pour venir d’Orient jusqu’à Jérusalem et se prosterner devant le roi des juifs ? Qui étaient ces « hommes qui partirent alors vers l’inconnu » ? Et Benoît d’ajouter : ils « étaient, en tout cas, des hommes au cœur inquiet. Des hommes poussés par la recherche inquiète de Dieu et du salut du monde. Des hommes en attente qui ne se contentaient pas de leur revenu assuré et de leur position sociale […]. Ils étaient à la recherche de la réalité la plus grande. »
Des hommes, donc, qui se mettent en route vers l’inconnu, qui prennent le risque de l’inconnu. Pas de route toute tracée, pas d’assurance d’un port, d’une demeure, d’une arrivée. C’est exactement ce que vivrons les disciples de Jésus, ses apôtres, lorsqu’ils le suivront sur les routes puis lorsqu’il les enverra aux quatre coins du monde. Inconnue du chemin, mais découverte, peu à peu, de celui qui en est le guide, le chemin, la demeure. Et c’est exactement ce qu’il nous est demandé aussi de vivre : prendre la route à sa suite, laissant nos sécurités, nos habitudes, nos conforts. Ces mages nous disent qu’il nous faut sans cesse nous mettre en route, nous interroger, nous déplacer, si nous voulons être les disciples et les témoins du Seigneur.
Des hommes en marche vers l’inconnu, « des hommes au cœur inquiet », nous dit Benoît XVI, « poussés par la recherche inquiète de Dieu et du salut du monde ». Là aussi, les mages nous invitent à avoir le cœur inquiet. Non pas d’abord l’inquiétude angoissante face à ce que vit ou pourrait vivre notre monde, mais une inquiétude qui dit l’impossibilité de trouver le repos, tant que nous ne l’aurons pas trouvé lui, Dieu, le Christ ; tant que nous n’aurons pas trouvé notre paix en lui. Découvrir alors que ce Dieu est inquiet pour nous, qu’il cherche lui aussi son repos en nous, pour nous, et « être pris, [à notre tour], comme le dit Benoît XVI, par l’inquiétude de Dieu pour les hommes […]. L’inquiétude pour Dieu [devient] inquiétude pour […] l’homme. »
Ces mages « étaient des chercheurs de Dieu » et nous invitent donc à l’être. Ils nous redisent que la foi est moins certitude qu’inquiétude, un mouvement continuel qui fait de nous des pèlerins, des Hébreux, « intérieurement en marche vers le vrai Roi du monde et vers sa promesse de justice, de vérité et d’amour. » Est-ce vraiment notre foi, notre marche, notre vie ? Sommes-nous inquiets de rencontrer Dieu, de le connaître davantage ? Avons-nous entrepris un long voyage, dans l’inconnu – voyage un peu fou – pour nous mener, non aux certitudes du palais de Jérusalem, mais à la déroutante crèche et à l’enfant ? Car ce sera bien là le terme de leur voyage.
Derrière l’apparence modeste de ce roi des Juifs, leurs cœurs inquiets sauront reconnaître ce qui leur était annoncé : « ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents ».
Si à notre tour, nous désirons entrer dans la demeure, voir l’enfant, tomber à ses pieds, nous prosterner et offrir nos présents, Benoît XVI nous invite à la prière : « Le pèlerinage intérieur de la foi vers Dieu, dit-il, s’effectue surtout dans la prière. […] La prière veut nous arracher à notre fausse commodité, à notre enfermement dans les réalités matérielles, visibles et nous transmettre l’inquiétude pour Dieu, nous rendant ainsi ouverts et inquiets aussi les uns des autres. » La prière n’est pas donc passivité, mais « courage et humilité de la foi. Il fallait du courage, dit encore Benoît XVI, pour accueillir le signe de l’étoile comme un ordre de partir, pour sortir – vers l’inconnu, l’incertain ».
Cette étoile s’est levée aussi pour chacun, chacune d’entre nous, pour nous appeler à nous mettre en route, à chercher, à regarder plus haut, plus loin, plus profond. Si nous le faisons, comme nous y invite l’enfant de Bethléem, et comme nous le montrent les mages, nous serons, nous aussi, étoile pour notre monde.