11e dimanche Ordinaire B

(Mc 4,26-34)

Juin 2024

Frères et sœurs, à l’arrière de l’Abbaye, il y a une parcelle sur laquelle poussaient des épicéas. Des arbres bien vert, toute l’année, mais sous lesquels il n’y avait qu’un tapis d’aiguilles brunâtre. Et puis, il nous a fallu couper ces arbres. Mais en à peine plus d’une année après, en ce printemps, ce sol apparemment stérile a révélé une vie étonnante, surprenante même pour ceux qui connaissaient si bien ce lieu ; une vie colorée par, cette fois, un tapis de fleurs et de couleurs. Après plusieurs décennies où elles n’ont pu émerger, le temps étaient enfin venu pour ces graines de devenir semences, herbes, fleurs.

Eh bien, c’est cette même force de vie que le Christ utilise pour nous parler du règne de Dieu ; cette même force de vie et ce même contraste.

Il y a d’abord la première parabole, celle de cet « homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (27). Cet homme a pris sa part de l’ouvrage. Il peut observer, accompagner la croissance, s’en émerveiller même, mais celle-ci ne vient pas de lui. Il y a, dans notre vie et dans notre monde, dans notre Eglise et notre communauté, une force, une dynamique, un processus qui nous échappe, que l’on ne peut maîtriser, sur lequel on ne peut pas mettre la main, mais qui est bien présent, bien en route, et qui est au cœur même de notre vie. Une dynamique qui va des semailles à la moisson, puis du grain de la moisson à la semence des semailles ; une dynamique, une vie, que rien ni personne ne peut arrêter. Ce qui est alors demandé à cet homme, et à nous, c’est d’être présents à ce qui se passe, simplement être là, au cœur de ce processus qui nous échappe.

Cette dynamique, c’est le règne de Dieu, cette vie, sa vie, qui vit en nous. C’est, à l’image de ces paraboles, la Parole de Dieu qui s’ensemence en nous et qui fait son œuvre presque malgré nous. Ainsi, le règne de Dieu dont parle Jésus ne sera jamais le fruit de nos efforts, mais celui d’une parole jetée dans notre monde et dans nos vies ; celui d’une parole qui agit, qui pénètre, qui ensemence, germe, grandit, nourrit. Jésus nous promet une moisson, nous promet la victoire qui viendra en son temps, mais aujourd’hui il nous faut, dans la confiance, l’abandon, être présents à son œuvre qui se fait, là, maintenant. Être présents à Jésus qui est là, semence, semeur, royaume.

La seconde parabole insiste sur le contraste, sur la petitesse de cette semence et, néanmoins, sur ce qu’elle va faire émerger. Et là encore, c’est bien la force d’une dynamique, la force de la Parole qui est mise en avant. Un presque rien, à l’instar de la vie de cet homme de Galilée, il y a deux mille ans, fils de charpentier qui arpenta des routes, des villes et des villages pendant 3 ans, accompagné par une poignée de disciples. « Comme une graine de moutarde [… semée] en terre », mais qui a « grandi et [… qui] étend de longues branches » à l’ombre desquelles nous pouvons faire notre nid (31-32), c’est-à-dire, là encore, faire éclore la vie. Une nouvelle fois, une invitation à la confiance et à vivre en la présence de Celui qui agit au cœur de ce que nous sommes et appelés à être.

Dans cette parabole, Jésus commence en interrogeant ses auditeurs : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? » (30). Avec ce « nous », il nous englobe, nous interpelle. Comment pouvons-nous, chacun, représenter le règne de Dieu, sa présence agissante dans nos vies ? Comment la dire aux autres, et finalement, à nous-mêmes ? Quelle trace ce règne de Dieu laisse-t-il ? Quel paysage ? Car c’est bien là la force et la raison des paraboles. Elles ne figent pas une vérité, ne l’imposent pas, mais elles ouvrent un chemin. Dieu, qui est chemin, dynamique de vie, semence, ne peut se dire qu’en paraboles. C’est-à-dire, cette façon de laisser ouvert le mystère de sa personne, de sa présence, de son action. Christian de Chergé – encore lui – disait que « la Révélation n’est pas dévoilement [mais] ouverture, appel, aventure, vers l’infini d’une démarche qui interpelle l’homme tout entier », dans son corps, son intelligence et son cœur. Et quand Jésus demande « à quoi allons-nous comparer le règne de Dieu », il nous redit que c’est ensemble que nous allons chercher une réponse, un chemin. Ensemble avec lui, qui nous guide et nous précède ; ensemble en communauté, en Eglise, en humanité. Le mystère de Dieu, de son œuvre en nous, de ce qui se joue, se trame, germe et grandit au plus profond de nous et du monde, et même au-delà de nous et du monde, est un mystère à découvrir ensemble, à partager, à laisser jaillir de soi, pour aller de l’un à l’autre, pour ensemencer la vie. En cette Eucharistie, puissions-nous recevoir la grâce de la contemplation du règne qui est là au milieu de nous.