4e dimanche de Carême C
(Lc 15,1-3.11-32)
Mars 2025
Frères et sœurs, si cet évangile est connu sous le nom de « la parabole du fils prodigue », c’est peut-être parce que nous nous sommes volontiers identifiés à ce fils cadet. Alors certes, contrairement à lui, nous n’avons pas eu l’audace de dépouiller notre père ; nous n’avons pas eu l’indécence de lui revendiquer « la part de fortune » que nous estimions nôtre, alors qu’elle était sienne, alors qu’il était encore vivant. En revanche, nous avons été sensibles à ce retour du fils prodigue, et peut-être encore plus sensibles au fait qu’il soit pardonné. Et c’est probablement ainsi que nous nous imaginons devant Dieu : pardonnés et aimés. Et c’est vrai ! Cependant ça ne doit pas être une excuse pour nous regarder avec complaisance, comme si, finalement, nous étions du bon côté, toujours du bon côté…
Cet évangile a aussi un autre nom : celui du « père prodigue ». Car évidemment, l’attitude du père qui donne à son fils, puis qui l’aperçoit alors qu’ « il était encore loin » et qui « se jet(e) à son cou » et « le couvr(e) de baisers », cette attitude ne peut que nous interpeler, et peut-être, là encore, nous mettre du bon côté. Celui de la miséricorde, de la bonté, comme si nous aussi, nous en étions vraiment capables.
Et puis, parfois, on parle de « la parabole des deux fils », mettant cette fois pleinement en jeu le fils aîné, celui qui « refus(e) d’entrer » et qui assombrit la fête ; mais qui, en même temps, est celui que nous comprenons, et que nous revendiquons parfois fièrement, mais pour dire là encore que nous avons raison, que nous sommes du bon côté.
Alors finalement, on entend une autre dénomination pour cette parabole, celle « du père et des deux fils », tout trois ayant quelque chose à nous dire.
Le cadet d’abord. Il revient vers son père, comme nous sommes invités à le faire par toute notre vie, mais il revient parce qu’il a faim, et non pas par amour. Il revient pour être salarié, et non pas, comme il le dit, parce qu’il n’est plus digne d’être fils, mais pour garder la distance, la liberté qu’il est allé chercher lorsqu’il « partit pour un pays lointain ». Ce fils a fait tout un chemin, mais il n’est pas encore au bout : il lui faut l’intervention de son père. C’est l’amour, la rencontre de l’amour, qui va le convertir. Ce matin, la démarche du fils cadet qui revient vers son père nous est donc instructive, mais c’est bien l’attitude du père qui doit retenir notre attention – et je dis bien retenir dans le sens où nous sommes invités à rester, à demeurer face à cette attitude du père pour la laisser nous retourner.
Et quand nous aurons contemplé cela, nous pourrons alors nous demander à qui, finalement, s’adresse cette parabole ? Et le début du texte nous rappelle que Jésus parle aux pharisiens. Et à qui sont-ils appelés à s’identifier ? Au fils aîné. Alors reprenons la question : A qui s’adresse cette parabole ? A nous ! Et quel est le personnage auquel nous sommes invités à nous identifier en priorité : au fils aîné ! Celui qui se révolte au nom même de la loi. Celui qui, quand il commence à parler, parle de lui et se prend pour la référence. Celui qui se ferme à son père ; et dont le frère n’existe même pas – aucun des deux fils ne parlant de l’autre en disant « frère » ; aucun des deux fils n’étant vraiment fils.
L’attitude du père, l’attitude de Dieu, nous invite, nous « supplie » dit le texte, à venir nous assoir pleinement au banquet de fête. Cette fête, c’est celle qui nous crie que nous avons un Père qui veut que nous soyons ses fils en découvrant toute l’ampleur de son cœur de père, et qu’ainsi, inséparablement, nous devenions des frères. Appel à être fils, appel à être frère.
Dans le parcours catéchuménal, le parcours de ceux qui demandent le baptême, le 4e dimanche est celui du récit de l’aveugle-né en saint Jean. Dans cette perspective, l’évangile d’aujourd’hui nous invite à retrouver la lumière et la vue en nous laissant toucher, transformer, par cet amour du Père, par sa miséricorde. La voir, la reconnaître, la contempler, et la laisser nous pénétrer, nous transformer. Rencontrer non pas un Dieu que nous connaissons théoriquement, culturellement, par habitude, mais celui qui existentiellement vient tout déplacer en nous quand ses propres entrailles sont remuées par nos errements. Voir le Père qui nous rétablit comme fils, dans toute notre dignité, sans condition, si ce n’est celle de consentir, de désirer à être frère, de l’autre, de tout autre, qui n'est ni moins bien, ni meilleur que moi. Le Père nous aime pour que nous nous sachions aimables et pour qu’ainsi nous puissions nous aussi aimer.
Frères et sœurs, ce matin, nous sommes donc comme le fils aîné, face à la question de savoir si nous entrerons pour nous joindre à la fête de la fraternité. Et si nous entrons - ou si nous laissons Dieu entrer réellement dans notre vie – il y aura avec lui une multitude d’hommes et de femmes, pécheurs, pécheresses, qu’il nous faudra, eux aussi, accueillir.