B PENTECÔTE JEAN 15, 26-27 ; 16,12-15 (13) Chimay : 23.05.2021

Frères et sœurs, en ce jour de la Pentecôte, nous célébrons avec tous les chrétiens du monde entier le don de l’Esprit Saint aux apôtres puis à toute l’Église, c’est-à-dire à nous aussi. L’Évangile nous rappelle que la veille de sa mort, Jésus avait rassemblé les Douze. Il venait de leur annoncer qu’il allait les quitter ; mais il resterait présent d’une autre manière et surtout, qu’il leur enverra l’Esprit Saint : « Quand il viendra l’Esprit de Vérité, il vous guidera vers la Vérité toute entière » (Jn 16,13).

 

Cette Vérité, c’est Jésus lui-même : C’est ce que nous lisons dans un de ses dialogues avec les disciples : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, personne ne va au Père sans passer par moi » (Jn 14,6). Aller vers la Vérité, faire la Vérité, c’est aller à Jésus, c’est accueillir l’amour qui est en Dieu et nous laisser envahir par lui. C’est ce qui s’est passé au jour de la Pentecôte pour les apôtres.

Saint Luc, dans les Actes des Apôtres (Ac 2,1-11) nous parle d’un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent, capable de faire claquer les portes et bien plus. Les apôtres virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se déposa sur chacun d’eux. Le texte dit bien des langues de feu, non pas une flamme, une torche ou quelques étincelles. Il parle d’une langue : une langue c’est pour parler. Donc les apôtres furent remplis de l’Esprit Saint et : « Ils se mirent à parler en d’autres langues, chacun s’exprimait selon les dons de l’Esprit » (Ac 2,4).

Il s’est passé comme un cyclone qui s’engouffre dans la maison et qui pousse les apôtres à sortir, à aller au-devant des foules et à les enseigner en toutes les langues. Il donne aux disciples de se faire entendre dans la langue maternelle de chacun, dans la langue maternelle de tous ces peuples dont on a entendu parler dans le livre des Actes. Cela signifie que dès les premiers siècles, l’Eglise assume la langue, les coutumes et la civilisation de chaque peuple pour être universelle, et pour dire les merveilles que Dieu fait pour chacun.

Et là, c’est un changement extraordinaire qui se produit. Pierre ne mâche pas ses mots. Lui qui, 50 jours plus tôt avait renié Jésus parce qu’il avait peur, se met à faire un discours stupéfiant : « Ce Jésus que vous avez fait mourir sur la croix, Dieu l’a ressuscité… Et maintenant, il a répandu son Esprit dans le monde » (Ac 2,23-24).  Et parmi tous ces gens qui écoutent Pierre, il y a ceux-là même qui ont réclamé la mort de Jésus. Mais là les apôtres n’ont plus peur. Désormais, rien ne peut les arrêter. Cette Bonne Nouvelle qu’ils annoncent, c’est comme un feu qui doit être répandu dans le monde entier. Souvenez-vous de cette parole de Jésus : « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). Peut-être rêvait-il de la Pentecôte !

Et depuis la première Pentecôte, l’Esprit Saint agit dans l’Église pour la guider « vers la vérité tout entière » (Jn 16,13), vers Jésus. Bien sûr, il ne faut pas croire que tout ce qui a été fait dans l’Église l’a été sous l’impulsion de l’Esprit Saint. Il y a eu des divisions entre disciples du Christ, des massacres, des abus et même des scandales. Il y en a encore d’ailleurs. Nous-mêmes, nous pouvons faire notre examen de conscience. Nous reconnaissons nos divisions, nos égoïsmes, toutes ces faiblesses qui ont toujours tendance à reprendre le dessus. Nous sommes des êtres divisés : une part de nous-mêmes résiste à l’action de Dieu ; une autre part est ouverte à l’œuvre de l’Esprit. Mais le Seigneur ne nous abandonne pas. Il continue à nous envoyer son Esprit Saint pour nous embraser de cet amour qui est en Dieu.

« Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père vous enverra en mon nom vous enseignera et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26). Comprenons bien, l’Évangile n’est pas un texte qu’il nous suffirait d’assimiler comme si le sens en était donné une fois pour toutes. Tout au long des siècles, le monde a beaucoup changé. Actuellement, il est marqué par les progrès de la technique, de la science, de l’informatique. Mais en même temps, il vit des drames très douloureux à cause de la migration des populations, de la faim, du chômage, de la pauvreté, du réchauffement climatique, de la pollution, de la pandémie, la liste est longue, etc. Les plus faibles y sont victimes de la violence et des injustices de toutes sortes.

C’est là que l’Esprit Saint intervient. Il résonne à chaque étape de notre histoire avec une perpétuelle nouveauté. C’est à sa Lumière que nous découvrons la Bible un peu comme une boussole qui nous montre la direction à prendre. Qui peut connaître Dieu, sinon l’Esprit de Dieu lui-même ? Jésus nous donne cet Esprit qui nous introduit dans la vérité de Dieu. Dans le contexte actuel, il vient nous rappeler que ce qui est premier ce n’est pas l’argent mais la personne. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce n’est pas le rendement mais l’amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent. Ce qui rend heureux, ce n’est pas de gagner, c’est de participer au jeu. Les dons de l’Esprit Saint sont partagés à chacun pour assurer l’unité de la communauté dans la diversité de ses expressions, non pas pour créer des classes, des séparations... C’est ainsi que l’Esprit Saint nous remet en mémoire le grand commandement du Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34). C’est ainsi que l’Église est appelée à avancer sous la conduite de l’Esprit qui lui inspire les exigences de la fidélité inventive.

Dans le récit des Actes des Apôtres, l’Esprit est comparé au vent. C’est une manière de dire qu’il est comme une énergie qui nous fait avancer et qui, à l’occasion, nous bouscule. Au début les disciples avaient peur des Juifs et se cachaient. Puis, soudain, ils deviennent des envoyés. Grâce à eux l’Evangile va se répandre comme un feu. Depuis vingt siècles, l’Église en a connu des tempêtes. Mais l’Esprit Saint n’a jamais cessé de souffler dans ses voiles. L’Église d’aujourd’hui a besoin de cette force pour reconstruire constamment son unité. Tout comme l’Eglise d’hier ou de demain. Sans lui, elle serait bien incapable d’évangéliser ce monde où les hommes ont tant de mal à se comprendre et à vivre la solidarité.

C’est avec l’Esprit Saint que nous pourrons retrouver et proposer les valeurs de l’Évangile à tous les hommes et femmes qui vivent sans perspective d’avenir. Dans une de ses lettres, saint Paul nous invite à marcher « sous l’impulsion de l’Esprit » (Ga 5,16). N’hésitons pas à lui demander son aide dans les décisions et les choix que nous avons à prendre. Qu’il nous aide à retrouver la bonne route dans le maquis des sollicitations du monde actuel. Si la Pentecôte est une si grande fête, c’est parce qu’elle est l’exaltation du courage, de la vérité et de la joie. La seule vraie dévotion que nous pouvons avoir à l’égard de l’Esprit Saint c’est de lui dire « Viens Esprit Saint ! » (Veni Creator Spiritus !)

Dans son Éloge de la folie, Erasme, qui vivait au xve-xvie siècle, ironisait sur les bienfaits de Bacchus, le dieu des vins, le premier d’entre eux consistant « à chasser les soucis, il est vrai pour bien peu de temps, car ils reviennent au galop dès qu’on a cuvé sa piquette ». La Bible ne dit-elle pas que « le vin réjouit le cœur de l’homme » (Ps 103,15) ? Le vin prédisposerait à l’insouciance. L’ivresse permet d’oublier les soucis. Il n’est donc pas étonnant que, le jour de la Pentecôte, certains taxent les apôtres d’ivrognes, en disant : « Ils sont complètement ivres ! » (Ac 2,13). C’est deux versets plus loin que le texte qu’on a lu aujourd’hui. En tant que liturgiste, je déplore les coupures qu’ont faites ceux qui ont préparé les lectionnaires, car il fallait une généreuse rasade de folie pour clamer à temps et à contretemps la Résurrection d’un condamné mort depuis cinquante jours, pour suivre ce meneur qui ne promettait la gloire éternelle qu’aux hommes prêts à tous les sacrifices.

Enfin, en ce jour, frères et sœurs, rendons grâce au Seigneur pour ce don de l’Esprit qu’il nous renouvelle à chaque célébration eucharistique. Ouvrons nos esprits et nos cœurs à son souffle afin de mieux comprendre le message de Jésus, afin de mieux aimer nos frères et sœurs et de leur annoncer l’Évangile avec un zèle que rien ne saurait intimider.