B TOUSSAINT MATTHIEU 05, 01-12a (5)

Chimay 01.11.2021

Chers Frères et Sœurs, en ce jour, l’Église nous invite à contempler la multitude des saints. Une foule immense est déjà près de Dieu. Unis à cette foule par la communion des saints, nous chantons notre espérance de participer à cette fête. C’est ce à quoi nous invite l’Apocalypse en parlant de « cette foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes les nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7,9). Saint Jean, le visionnaire de Patmos, décrit de façon magnifique la vision qu’il a eue : cette foule immense est une magnifique image de la communion des saints dont nous sommes solidaires, et qui nous porte dans sa prière. La Toussaint ouvre le regard de façon lumineuse aux dimensions de Dieu.

 

C’est ce que célèbre aussi la première lettre de Jean en nous disant que le bonheur, la vie, la vie véritable, celle dont parle saint Benoît dans sa Règle, viennent de l’amour du Père. Comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés ! Il a fait de nous ses enfants, en son Fils, Jésus Christ (1 Jn 3,1). Et tout cela est déjà commencé même si ce n’est pas encore manifeste. « Nous sommes appelés enfants de Dieu, dit Saint Jean, et nous le sommes » (1 Jn 3,1). Mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement : « Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ! » (1 Jn 3,3). La Toussaint invite à regarder non pas à hauteur d’homme seulement, mais à hauteur de Dieu, source d’une espérance infinie.

« Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas » car il ne connaît pas cette joie même s’il aspire lui aussi au bonheur mais à tâtons ; « c’est qu’il n’a pas connu Dieu » (1 Jn 3,1), nous dit saint Jean. Et pourtant nous avons en cette fête la promesse du bonheur, de la joie sans fin et sans limite puisque « nous sommes tous par la miséricorde du Père appelés à la sainteté » par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus – une moniale ne suit pas la même échelle pour atteindre la sainteté que le bon larron – mais des chemins tous accessibles, selon l’expression du pape François dans son exhortation apostolique Gaudete et Exultate. Et pourtant nous sommes déjà bienheureux en ce jour puisque la gloire des saints, la gloire du Royaume, l’amour de Dieu sont déjà présents parmi nous agissant pour la transformation du monde jusqu’à ce qu’il passe. Les saints nous désirent, ils nous attendent, ils comptent sur nous pour que cette bonne nouvelle de la joie et du bonheur se répande. Non pas le bonheur de ce monde où tous les besoins et tous les désirs seraient satisfaits, mais le bonheur du Royaume, dès maintenant, dès ici-bas. Sainte Bernadette, à Lourdes, s’est entendue promettre ce bonheur-là par la Vierge Marie : « Je ne vous promets pas le bonheur de ce monde, mais l’autre ».

Cet Évangile de Jésus, celui des Béatitudes, le monde ne le connaît pas. Il dit plutôt bienheureux les riches, ceux qui possèdent, qui accumulent jusqu’à risquer de tout détruire et il célèbre ce pseudo évangile de la prospérité et du bien-être par une fête à base de citrouilles et de sorcières, l’Halloween. Il dit aussi bienheureux les violents, ceux qui gagnent, ceux qui réussissent, ceux qui dominent et il a transformé la fête des vivants en une mémoire des morts, victimes de la violence, des guerres et des révolutions. Mais, sans doute, est-il aussi difficile pour nous de gravir la montagne des Béatitudes avec Jésus, là où Dieu se révèle. Nous devons ouvrir l’oreille de notre cœur pour entendre de sa bouche non une quelconque prédication mais la loi nouvelle du Royaume dans toute sa radicalité : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (M 5,11-12a). C’est le métier de la sainteté qui entre avec ses épreuves. Un jour j’ai fait un accident voiture. J’en porte encore les marques, même si la voiture a été plus abimée que moi. Mon père m’a alors dit : « Ne t’en fais pas, c’est le métier qui rentre ! »

Les saints sont des chrétiens radicaux. Les béatitudes que nous venons d’entendre ne sont pas des modèles que nous devrions imiter, elles nous parlent des sentiments du Christ Jésus que nous devons faire nôtre, chacun suivant les dons reçus. Jésus proclame heureux ceux qui ressemblent au Dieu qu’il est venu révéler aux hommes, un Dieu pauvre et proche des pauvres, un Dieu de tendresse, de douceur, de justice, de paix, de miséricorde. Viendra le temps des disciples, le nôtre, où témoigner de Jésus sera un signe de contradiction. « Heureux sommes-nous », dit Jésus. D’un bonheur paradoxal, intérieur, celui que Dieu donne. Jésus est ce qu’il prêche. En sa personne, il accomplit la Loi d’amour qu’il enseigne. Il est le Saint par excellence. La sainteté est vocation à le suivre. Appel pour tout chercheur s’il consent à se recevoir de plus grand que lui. La sainteté est derrière cette « porte d’à côté » dont parle le pape François. Dans l’invisibilité aimante et féconde, elle fait peu de bruit mais grand bien.

Nous ne sommes pas appelés au bonheur, qui est celui des saints, à cause de nos mérites mais en vertu de la grâce du pardon. « C’est la rencontre de notre faiblesse avec la force de la grâce », insiste le pape François. Ce bonheur est à la fois déclaré, promis à tous et communiqué par le Christ qui nous sauve en donnant sa vie sur la croix. Notre gloire, notre bonheur et notre joie, c’est la Croix du Christ, c’est le mystère pascal. Contemplant le Christ qui sur la croix tend les bras vers tous les hommes, nous pouvons alors unir pour conduire nos vies, la pauvreté et la persécution, l’affliction et la paix, la douceur et la pureté, la justice et la miséricorde comme autant de degrés sur cette échelle où l’on monte en descendant par l’humilité. Le Bon Larron a vécu ce mystère de miséricorde : c’est le titre d’un livre d’André Daigneault. En un seul moment, le Bon Larron s’est converti et a reçu la vie éternelle. L’auteur s’en inspire et nous démontre qu’un seul vrai regard sur la miséricorde de Dieu est déjà le Salut. Le bon larron qui regarde Jésus en l’implorant, et Jésus qui le regarde à son tour. Quand deux hommes sont en train de mourir étouffés, on ne peut pas s’attendre à ce que la conversation soit très longue. Mais en général, on ne devient pas saint du jour au lendemain. Regardons-nous : aucun de nous n’y est encore arrivé. Témoins de l’amour de Dieu, ces hommes et ces femmes que nous fêtons aujourd’hui nous sont proches justement par leur cheminement, leurs doutes, leurs questionnements, en un mot : leur humanité.

Car c’est par la Croix du Christ que nous devenons bienheureux. Notre joie en ce jour, c’est de pouvoir nous présenter devant lui « les mains vides » comme celles de Thérèse de Lisieux, délivrés du souci de la performance, comme des pauvres que Dieu aime avec la foule immense de ceux qui ne sont ni des héros, ni des vedettes mais des petits et des pauvres, fils bien-aimés du Père, acceptant de se laisser configurer par la Croix.