C 03 LUC 01,01-04 ;04,14-21 (14)

 

Frères et sœurs, la liturgie aujourd’hui nous propose deux textes qui nous invitent à méditer sur notre rapport à la Parole de Dieu telle qu’elle se lit dans l’Écriture. Néhémie et saint Luc nous parlent tous deux d’une bonne nouvelle, d’une parole de bénédiction à accueillir « prosternés devant le Seigneur, le visage contre terre » (Ne 8,6). Dieu nous a tant aimés qu’il nous a adressé la Parole ! Ce ne peut être pour nous qu’un motif de joie et de bénédiction. « La joie du Seigneur est notre rempart » (Ne 8,10).

Dans l’un et l’autre texte de ce jour (Ne 8,2-10 ; Lc 1,1-4 ;4,14-21), la Parole est proclamée : par le prêtre Esdras et par Jésus. Une certaine solennité entoure cette proclamation, en particulier dans le livre de Néhémie. L’Écriture est lue, commentée, interprétée, actualisée, après avoir été traduite en fonction des besoins, à une époque où Israël ne parlait plus hébreu mais araméen. Tout est fait pour que celui qui a des oreilles puisse entendre ce que Dieu dit, le comprendre, le faire sien et le mettre en rapport avec son présent personnel et collectif : « Aujourd’hui, s’accomplit ce passage de l’Écriture » (Lc 4,21). La Parole, même si elle peut se révéler plus incisive qu’un glaive à deux tranchants (He 4,12) en révélant les infidélités des croyants, est, avant tout, créatrice de joie non seulement pour ces derniers, mais aussi pour le Seigneur : des retrouvailles sont en train de s’opérer, la grâce est à l’œuvre qui ouvre à la conversion, à la guérison, à la libération.

« Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout » (Ne 8,5), raconte Néhémie à propos de la célébration de la Parole présidée par le prêtre Esdras. Dans la synagogue de Nazareth, c’est Jésus lui-même qui se lève et ouvre le livre pour faire la lecture du prophète Isaïe. Voilà des liturgies de la Parole semblables à celles que nous vivons dans la première partie de la messe. En effet, ces écrits bibliques, qu’ils soient de l’Ancien Testament (Genèse, Exode, Prophètes, Sagesse, Psaumes, etc.), ou bien du Nouveau (Lettres de saint Paul, de saint Jean, Actes des Apôtres, etc.) et plus encore lecture des évangiles, ont un même point commun : « Quand on lit dans l’Église les Saintes Écritures, c’est Dieu lui-même qui parle à son peuple » (PGMR 29).

D’ailleurs, nous ne les acclamons pas comme des Écritures mais bien comme « Parole du Seigneur » au sujet de laquelle « Nous rendons grâce à Dieu ». Ceci est encore plus manifeste après la lecture de l’évangile où, à l’invitation à acclamer la Parole de Dieu, nous répondons : « Louange à toi Seigneur Jésus ». Et non pas « Louange à toi le livre » ! Ou même louange à ces sublimes Écritures ! Nous louons une personne : le Christ. À chaque lecture de l’évangile, jour après jour, nous reconnaissons que le Christ est notre Parole, qu’il est la Parole du Père pour nous.

Dans son commentaire sur le psaume premier, saint Ambroise (ive siècle) exhorte ainsi ses lecteurs : « Abreuve-toi d’abord à l’Ancien Testament pour boire ensuite au Nouveau. Si tu ne bois pas au premier, tu ne pourras pas te désaltérer au second... Bois à la coupe de l’Ancien Testament et du Nouveau, car dans les deux, c’est le Christ que tu bois ». Saint Luc le soulignera encore dans les récits de la Résurrection aux disciples d’Emmaüs : « Il leur expliqua ce qui est dit à son sujet dans l’ensemble des Écritures » (Lc 24,27). Mais pour avoir cette soif qui surmonte les obstacles et accepte de cheminer sous la conduite de Jésus et de l’Esprit, encore faut-il avoir conscience de son impuissance à connaître Dieu par sa seule intelligence. Il n’est pas à notre mesure et c’est aux pauvres, aux captifs de leurs idées toutes faites, aux aveugles incapables de voir les merveilles de Dieu, aux opprimés, que Jésus a été envoyé proclamer la Bonne Nouvelle qui réchauffe le cœur.

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre » (Lc 4,21). Par cette phrase, Jésus ne traduit pas le texte, il n’en donne pas une interprétation verbale. Il présente sa personne comme une actualisation de la Parole de Dieu. En faisant cela, il donne à comprendre quelque chose de lui, de qui il est et de qui il sera. C’est un acte fort et inédit qui souligne que sa vie entière fait sens, incarne au présent ce que l’Ecriture annonce. Ces deux récits invitent chaque lecteur ou chaque auditeur à un acte de sens. Il n’y a pas de passivité possible en face de la Parole de Dieu. Chacun est appelé à interpréter ce qu’il entend, à actualiser ce que cette parole lui dit aujourd’hui même. Cet aujourd’hui est aussi le nôtre !

Aujourd’hui le Messie des pauvres est là pour leur porter la Bonne Nouvelle, annoncer la délivrance des captifs, libérer les opprimés. Aujourd’hui, non pas demain ! Jamais personne n’avait lu la Bible ainsi, jamais personne n’avait accompli les promesses de Dieu comme Jésus de Nazareth. Reliée aux paroles d’Isaïe qu’il vient de lire, cette annonce sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel de ses contemporains, car seul Dieu peut mettre en œuvre un tel programme. Le Messie réalise la prophétie d’Isaïe, le Règne de Dieu advient maintenant et pour tous. On comprend que Luc ait pris la peine de s’informer avec soin, près des témoins oculaires, de ces événements, pour nous les relater fidèlement.

« C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, d’écrire pour toi, excellent Théophile » (Lc 1,3). Hormis ceux qui portent ce prénom, qui de nous se sent concerné par cette adresse ? N’est-il pas inconvenant de lire ainsi un courrier écrit pour quelqu’un d’autre ? De même, en faire une lecture publique presque tous les dimanches de cette année liturgique ? Qui est ce Théophile ? Pour être sûr d’être compris, l’évangéliste pose, avec ce prénom, un préalable essentiel : la clé de compréhension de tout son récit. Luc écrit aux amoureux, les Théophile, celui qui aime Dieu en grec. Sans cet enclin à aimer, impossible de comprendre les enseignements, les paraboles et les miracles de Jésus. Écrit amoureusement, l’Évangile se lit amoureusement.                 

Alors, il nous faut devenir des aimants Dieu, transis, saisis, émerveillés de ce que nous apprenons de la Parole. Faisons-lui confiance, sans imaginer un instant qu’elle pourrait nous tromper. Décidons-nous à vivre en sa compagnie parce que l’on pressent que c’est elle que l’on attendait, que c’est elle qui nous manquait pour être pleinement heureux et libre. Et, petit à petit, reprenons confiance et espoir à son contact, trouvons réconfort et consolation en l’écoutant et découvrons ainsi le sens de la vie et la réponse à nos questions. Mot après mot, apprenons d’elle le pardon et le don, l’espérance en Dieu à retrouver, et la confiance en l’autre à affermir. Oui, la Parole, aujourd’hui et demain, s’accomplira seulement dans l’amour.             

L’expérience des disciples d’Emmaüs après la résurrection de Jésus est à notre portée : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24). Comme à la synagogue de Nazareth, le Christ ouvre les Écritures. Il s’agit non pas d’abord d’ouvrir un livre mais bien d’ouvrir le sens de ce qui est écrit, afin que nous comprenions qu’« aujourd’hui, cette parole s’accomplit ». Il y est question de notre vie et le récit de notre existence est tissé par la parole de Dieu. C’est non seulement un dimanche qu’il faut consacrer à la parole de Dieu mais tous nos jours et nos nuits selon la parole du psalmiste, car « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14).