C 18 LUC 12,13-21 (11)

Chimay : 31.07.2022

Frères et sœurs, en cette période de vacances d’été, les textes liturgiques nous proposent de réfléchir sur les biens matériels. Oui, bien sûr, nous en avons besoin pour assurer notre quotidien. Mais le vrai problème est ailleurs : on se donne beaucoup de peine pour accumuler les richesses, on fait preuve d’ingéniosité, on s’impose des fatigues qui ruinent la santé, parfois l’union des foyers, que sais-je encore ? Le confort matériel c’est bien, mais si notre vie n’est pas remplie d’amour, il manque l’essentiel. Il vaut mieux être heureux dans un taudis que malheureux dans un château.

Dans une de ses homélies, le pape François nous dit que « la cupidité est une idolâtrie ». Il nous recommande de la combattre avec la capacité de partager, de donner et de se donner aux autres. Dans l’évangile d’aujourd’hui, un homme vient demander à Jésus de se faire l’arbitre dans ses problèmes d’héritage, c’est-à-dire qu’il veut se couvrir de l’autorité du Christ pour obtenir l’héritage qu’il convoite. Jésus refuse d’être juge dans cette affaire. Il en profite pour dire qu’il y a des richesses que nous n’emporterons pas au paradis : « Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12,20). D’une part, on n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard, et d’autre part, tout le monde a entendu parler de querelles de famille sur une question d’héritage.

Pour mieux se faire comprendre, Jésus raconte une parabole. Il nous parle d’un homme riche « dont le domaine avait bien rapporté » (Lc 12,16) ; son grand souci, c’est qu’il n’a pas assez de place pour entreposer toute cette récolte. Ce que Jésus dénonce dans cette histoire, ce n’est pas les richesses, mais l’attachement aux richesses. Ailleurs, il nous dit qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux (Mt 19,24). Le pape François précise que cet attachement immodéré aux richesses est une idolâtrie ; nous sommes en face de deux dieux : « Nul ne peut servir deux maîtres. Ou bien il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou bien il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon » (Mt 6,24 ; Mt 24,9-10 ; Lc 14,26 ; Jn 3,20).

Il ne faut jamais oublier que la terre et ses richesses ont été créées par Dieu. Elles continuent à lui appartenir. Il nous les a confiées pour que nous les fassions fructifier au bénéfice de tous ses enfants. Nous avons le droit d’en user, mais pas d’en abuser. Par la bouche de Jésus, Dieu traite de fous ceux qui s’y laissent enfermer. Ils s’enferment devant le veau d’or ; ils oublient d’aimer Dieu et le prochain. En cette période d’été et de dépenses, cela vaut la peine de réfléchir sur le vrai sens de la vie. Car nous savons bien que les richesses, petites ou grandes, risquent de nous empêcher de prendre l’Évangile au sérieux.

Pour Jésus, le seul bonheur qui dure, c’est la rencontre avec Dieu, c’est d’être « riche en vue de Dieu » (Lc 12,21). Nous sommes tous riches des richesses de Dieu, de sa joie, de son amour, de son pardon. Ces richesses-là, on peut même les offrir aux autres. Nous connaissons tous des hommes, des femmes et même des enfants, qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour aider les autres à avoir une vie meilleure.

Ce qui fait la valeur d’une vie c’est précisément notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent. Pour comprendre cela, c’est vers la croix du Christ qu’il nous faut regarder : il s’est donné jusqu’au bout. Il nous a aimés « comme on n’a jamais aimé »[1]. Lui-même nous recommande de nous aimer les uns les autres « comme il nous a aimés » (autant qu’il nous a aimés). Nous voyons bien que nous, pauvres pécheurs, nous sommes loin du compte. Mais l’important c’est d’accueillir cet amour qui vient de lui ; c’est une richesse qu’il nous faut communiquer au monde.

Cet Évangile d’aujourd’hui est une très belle réponse au regard désabusé de Qohélet (1,2 ; 2,21-23). On se donne beaucoup de peine, puis un jour, il faut tout laisser. Saint Paul (Col 3,1-5.9-11) nous invite à faire mourir « tout ce qui n’appartient qu’à la terre… en particulier cette soif de posséder qui n’est qu’idolâtrie » (Col 3,5). « Le Christ est l’avenir de l’homme » disait plutôt Jean-Paul ii. Tous les combats de la vie chrétienne préparent cet avenir. Si nous voulons trouver le Christ, nous devons rechercher « les réalités d’en haut » (Col 3,1). Ces réalités s’appellent vérité, justice, amour, charité. N’oublions jamais qu’au jour de notre baptême, nous avons été plongés dans cet océan d’amour qui est en Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Avec lui, plus rien ne peut être comme avant. C’est une vie entièrement renouvelée qui s’ouvre devant nous. Pour Paul, l’homme accompli c’est Jésus Christ. « Les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4,12-13). C’est vers lui que nous devons orienter notre existence.

Nous sommes donc tous invités à édifier le monde des hommes, non sur la fortune de quelques-uns, mais sur la justice qu’inspire l’amour. Alors, plus que jamais, nous accueillerons cet appel à la conversion : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94,7-8). Bref, comme je le disais au début de cette homélie, nous sommes invités à réfléchir.

Sur quels fondements construisons-nous nos greniers : sur le Christ et sa Parole, sur ce qui a valeur d’éternité, à savoir la charité, ou sur du « vent » pour reprendre les propos de Qohélet ? La vanité, pour un Hébreu, c’est ce qui est vide, ce qui n’est que du vent. Sommes-nous en quête des réalités d’en haut ou rivés à la terre, à nos convoitises, à nos passions ? En d’autres termes, vivons-nous de la grâce de notre baptême par lequel nous avons été transférés dans le Royaume du Fils bien-aimé ?

Tant le texte de Qohélet que celui de l’Évangile soulignent la fatigue occasionnée par l’accumulation des biens voués à se désagréger. Biens vulnérables qu’il faut défendre contre les rongeurs ou les voleurs, mais aussi contre la vaine gloire lorsqu’il s’agit de biens spirituels acquis non en vue de Dieu mais pour notre propre gloriole. Car tout ce qui nous incurve sur nous-mêmes nous étouffe, nous rétrécit et nous éloigne de cette dilatation du cœur à laquelle nous sommes promis.

Seule la présence de l’Esprit met notre cœur au large, car il est Amour partagé. Il nous incite à laisser circuler les biens entre nous, à rendre à Dieu la grâce reçue. Il est ce « capital d’amour » dont parle saint Augustin, sur lequel il nous faut apprendre à veiller. Ce qui suppose la pratique de la garde des pensées, l’intériorisation de la Parole et le souci de l’incarner par la prière, la vie sacramentelle et la relecture régulière de nos vies pour discerner où est notre « trésor ». Ce trésor pour lequel nous consentons à perdre pour gagner et à mourir pour vivre plus pleinement. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21).

 

[1] « Le Seigneur nous a aimés comme on n’a jamais aimé. Il nous guide chaque jour comme une étoile dans la nuit. Quand nous partageons le pain, il nous donne son amour : C’est le pain de l’amitié, le pain de Dieu ». (Fulgence Gackou).