C 20 LUC 12, 49-53 (10) Chimay :

14.08.2022

Frères et sœurs, en lisant l’Évangile de ce dimanche, nous risquons de comprendre le contraire de ce qu’il veut dire. « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). Ce feu que Jésus est venu apporter sur la terre, ce n’est pas un feu destructeur. Il n’a rien à voir avec le feu des bombes qui détruisent des villes et des vies entières. Il s’agit plutôt du feu de l’Amour qui a du mal à prendre sur terre. Dans le livre de l’Exode (3,1-10), nous lisons l’épisode du buisson ardent : il nous dit l’amour passionné de Dieu qui a vu la misère de son peuple et qui veut le sauver. C’est ce même feu dévorant qui animait le prophète Jérémie lorsqu’il s’adressait à son peuple de la part de Dieu (Jr 38,4-10).

Ce feu que le Christ désire voir s’allumer, c’est celui de l’amour qui est en lui. Tout l’Évangile nous dit cet amour passionné de Jésus pour son Père et pour tous les hommes : il « nous a aimés comme on n’a jamais aimé » (Maurice Debaisieux). Son amour pour chacun dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Nous n’aurons jamais fini d’en découvrir toute la grandeur.  Ce feu qui ne demande qu’à se répandre dans le monde entier, c’est évidemment celui de la Pentecôte (Ac 2,1-11). Ces langues de feu qui se sont posées sur les apôtres reposent aussi sur chacun et chacune de nous et ce feu a pris le jour de notre confirmation. Désormais toute notre vie doit être employée à attiser de feu. Il ne suffit pas d’être un bon pratiquant. Il importe que toute notre vie se transforme en feu de l’Amour.

Ce feu, c’est aussi celui qui réchauffe. Nous pensons aux disciples d’Emmaüs lors de leur rencontre avec Jésus ressuscité (Lc 24,13-35). Ils ne l’ont pas reconnu à ce moment-là ; mais leur cœur était tout brûlant quand il leur expliquait les Écritures (Lc 24,32). Nous aussi, nous pouvons répandre ce feu de l’Amour en réconfortant les désespérés de notre monde : les malades, les prisonniers, les pauvres, les exclus.

Ce feu est également une lumière qui éclaire notre vie et lui donne un sens nouveau. Cette lumière nous a été transmise au jour de notre baptême. Nous sommes envoyés pour la porter et la rayonner dans ce monde qui en a bien besoin. « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). « Il ne fait jamais nuit là où on s’aime » dit un proverbe africain.

Une autre qualité du feu, c’est de purifier. Il détruit les déchets dans les décharges. Il réduit en cendres tout ce qui est inutile. Les paroles du Christ ont cette puissance purifiante du feu. Elles viennent décaper tout ce qui est contraire à l’amour. Un chrétien ne peut pas bénir tout ce qui se fait dans le monde sous prétexte que c’est « moderne ». Il y a des lois et des pratiques que l’Église désapprouve parce qu’elles sont contraires à l’Évangile : l’avortement, l’euthanasie, la peine de mort.

Mais quand on est animé de cet amour passionné pour Dieu, rien n’est facile. Le prophète Jérémie en a fait la douloureuse expérience. Il a été mis en prison puis enfermé dans une citerne (Jr 38,4-10). Sa parole dérangeait les puissants de ce monde. Ceux qui racontent cette histoire nous disent leur foi. Ce passage de la vie de Jérémie fait partie d’une période particulièrement douloureuse de sa vie de prophète, que certains exégètes appellent la Passion de Jérémie. Comme Jésus, Jérémie est rejeté par les chefs de son peuple. En outre, l’attitude du roi Sédécias rappelle celle attribuée à Pilate dans les évangiles : le juge faible qui abandonne un innocent à ses ennemis. Cette analogie doit nous interpeller. Disciples d’un innocent persécuté, nous devons lutter contre ce type d’injustice. Jérémie ne prêchait pas la défaite mais l’écoute du Seigneur. L’unique défaite, c’est l’éloignement du Seigneur et de sa loi.

La lettre aux hébreux (12,1-4) est adressée à des chrétiens persécutés. Elle leur montre les grands témoins de la foi que l’on trouve tout au long de l’Ancien Testament : c’est une foule immense qui stimule notre espérance. C’est Jérémie, exposé à la mort pour son refus d’une parole facile, proposant des bonheurs illusoires et asservissants. C’est Jésus, mené à la Croix pour sa fidélité à la Parole de vie et d’amour du Père. Ce sont tous ces témoins refusant le mensonge et la compromission, sous toutes les latitudes et dans les situations les plus diverses et parfois dramatiques. Nous sommes portés dans notre vie de foi par la foule immense des croyants d’hier et d’aujourd’hui. Mais le plus important, c’est de fixer notre regard sur le Christ vainqueur de la mort et du péché. Nous sommes tous appelés à participer à ce triomphe de l’amour de Dieu.

Les épreuves du prophète Jérémie et celles des premiers chrétiens sont toujours d’actualité. La foi au Christ entraîne des risques. Si nous choisissons de prendre ses paroles au pied de la lettre, on va nous prendre pour des fanatiques ou des intégristes. On va nous accuser d’être entrés dans une secte. Il y aura des conflits à l’intérieur des familles. Ces conflits ne sont pas voulus par le Christ. Mais de fait, dans une même famille, il y a ceux qui adhèrent à lui et ceux qui le rejettent. Sa parole nous invite à prendre position contre tout ce qui est contraire à l’amour, y compris à l’intérieur de nos familles. Nous savons combien il peut en coûter de choisir de vivre en cohérence avec l’Évangile, de refuser chaque jour la domination et la séduction du pouvoir, l’encombrement et l’esclavage de l’avoir, le mensonge et la mainmise sur l’autre dans nos relations !

Si notre foi se manifeste uniquement par notre participation à la messe, nous ne prenons pas de gros risques. Il y aura peut-être des moqueries dans certains milieux de travail et de loisir, parfois aussi dans les familles. Mais dans certains pays, ceux qui se convertissent à Jésus et qui vont à l’église sont en danger de mort. Le xxe siècle est celui qui a connu le plus de martyrs de toute l’histoire de l’Eglise.  Leur témoignage ne cesse de nous interpeller. Vis-à-vis de Jésus, il n’y a pas de compromis possible : ou bien on se tourne vers lui et on s’efforce de le suivre… et la flamme s’embrase ; ou bien on regarde vers soi-même et vers son seul profit… et alors le feu s’éteint.

L’Esprit Saint est un amour passionné, un amour ardent, un amour combatif qui ne se contente pas de descendre dans une âme, mais il la brûle pour la libérer des passions terrestres qui l’asservissent. Cet amour rend vraiment l’homme libre ! C’est un amour contagieux qui s’étend à d’autres. L’amour est militant ; il est en mouvement continuel, il se propage, pardonnant, consolant, fortifiant, élevant. Est-ce que j’éprouve cet amour du Christ et de l’Eglise ?

Pour remplir sa mission l’Église a besoin de chrétiens vraiment passionnés de cet amour qui est en Dieu. François Mauriac disait : « Si vous êtes un disciple du Christ, beaucoup se réchaufferont à ce feu. Mais les jours où vous ne brûlez pas d’amour, d’autres mourront de froid ». Alors oui, laissons ici-bas nos cœurs s’embraser de cet amour qui est en Dieu.

Laissons Jésus allumer en nous le feu de son amour, celui qui brûlait son cœur et l’a conduit à donner sa vie sans rien retenir pour lui. Le compagnonnage avec Jésus est le lieu du vrai bonheur et de l’exigeante liberté, le lieu où nous ouvrir sans cesse à la source de la vie pour la transmettre à nos frères et soeurs.