C 22 LUC 14,01a.07-14 (14)

Chimay : 28.08.2022

Frères et sœurs, les textes de la Parole de Dieu d’aujourd’hui nous parlent d’humilité. Il ne s’agit pas de simples conseils de politesse ou de savoir vivre. Car pour comprendre ce message, c’est vers le Christ qu’il nous faut regarder. Saint Paul dans sa lettre aux Philippiens nous dit que Jésus « s’est abaissé… jusqu’à mourir sur une croix. C’est pourquoi, Dieu l’a élevé au-dessus de tout » (Ph 2,8-9). L’humilité qui est mise en avant c’est d’abord celle du Seigneur.

Ben Sira le Sage (3,17…29), qui s’est voulu à l’écoute du réel – pour employer une expression courante aujourd’hui – Ben Sira a rencontré des personnes qui avaient des responsabilités importantes. Certaines étaient vraiment gonflées d’orgueil : cela pourrissait les meilleures choses jusqu’à la racine ; d’autres agissaient avec patience et douceur : en restant humbles, elles savaient se faire aimer, et cela les rendait plus efficaces. Cette leçon d’humilité n’est pas seulement un bon conseil pour avoir de la considération. En accomplissant « toute chose avec humilité » (Si 3,17), on s’accorde au Seigneur lui-même. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser, nous écrit Ben Sira le Sage. Car ce les humbles qui rendent gloire à Dieu.

C’est ce même message que nous trouvons dans la Lettre aux Hébreux (Hb 12,18…24). Autrefois, sur la montagne du Sinaï, ces manifestations de la venue de Dieu étaient bruyantes : il y avait le feu, les ténèbres, l’ouragan, le son des trompettes. Quand le Christ est venu, rien de tout cela : tout s’est passé dans l’humilité. Cette venue du Christ a été pour les chrétiens le point de départ d’une relation nouvelle avec Dieu. Nous sommes introduits dans la cité sainte avec les saints et les anges. Tel est l’enseignement de la lettre aux Hébreux.

Dans l’Évangile de ce jour, nous voyons Jésus qui est invité chez un pharisien. Il remarque que les invités choisissent les premières places. Chacun veut passer avant les autres. Nous connaissons des gens qui font tout pour avoir la meilleure position et les honneurs. Alors Jésus dit une parabole pour remettre les choses à l’endroit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi » (Lc 14,8). Encore une fois, ces paroles du Christ ne sont pas de simples conseils de politesse ; quand il nous recommande de prendre la dernière place, il nous parle des conditions d’admission au Royaume de Dieu. Le Fils prend la dernière place pour être introduit par le Père dans la gloire !

C’est la prière d’action de grâce que nous retrouvons dans le Magnificat de la Vierge Marie : « Dieu élève les humbles ; il abaisse les orgueilleux » (Lc 1,52). Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus nous recommande « d’inviter les petits, les pauvres, les exclus » (Lc 14,13). Bien sûr, ils ne peuvent pas rendre l’attention qu’on leur porte. Mais cet amour gratuit et désintéressé ne restera pas sans récompense au jour de la résurrection. Être à la fois sans prétention et désintéressé, c’est le meilleur moyen de gagner le cœur de Dieu et celui des hommes.

L’humilité est une qualité que l’on apprécie beaucoup quand on la rencontre chez quelqu’un qui la possède. Une personne qui n’essaie pas de se mettre en valeur par tous les moyens, qui sait traiter avec chacun en toute simplicité, qui sait donner de l’importance aux autres avant de s’en donner à soi-même, tout cela fait d’une personne humble quelqu’un avec qui on a plaisir à passer du temps.

L’Évangile de ce jour nous rappelle cette autre parole de Jésus : « Les derniers seront les premiers » (Mt 20,6). La même logique de l’humilité y est déployée : celui qui se place en vérité devant Dieu connaît sa petitesse et ne s’élève ni devant ses frères ni devant Dieu, car il sait que tout ce qu’il a reçu lui vient de Dieu. On peut dire que c’est cela la définition de l’humilité. Toute la Bible fait l’éloge de l’homme humble, car c’est la vertu qui plaît à Dieu. Pourquoi ? Parce que le cœur orgueilleux et hautain est trop plein et trop sûr de lui-même pour reconnaître les dons de Dieu. L’orgueilleux prend la place de Dieu. Il se fait Dieu ! C’est là le drame.

La dernière place que Jésus nous recommande, c’est celle que lui-même a choisie : il est né dans les conditions les plus ordinaires. Il a vécu parmi les pêcheurs du lac de Galilée ; il a accueilli des publicains, des pécheurs notoires, des lépreux. En toute circonstance, il a été un modèle d’humilité. Il n’a autorisé ses disciples à l’appeler « Maître et Seigneur » (Jn 13,13) qu’après leur avoir lavé les pieds. Nous, disciples du Christ, nous sommes invités à suivre chaque jour le même chemin que le Maître.

Désormais, il n’y a plus de place à choisir, ou plutôt, il n’y en a plus qu’une, celle que Jésus occupe et qu’il veut partager avec nous. Cette place, c’est celle du serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Ils sont nombreux ceux et celles qui occupent cette place en se mettant au service des petits, des exclus, de ceux et celles qui ont tout perdu dans les catastrophes. À travers eux, c’est Jésus qui est là. Si nous savons l’accueillir, il nous a promis qu’un jour, il prendra la tenue de service pour nous servir chacun à notre tour. Il veut que nous soyons avec lui dans le cœur du Père. Voilà le repas de fête annoncé par ses repas pris avec les exclus de la terre.

Le théologien réformé allemand Jürgen Moltmann a écrit un ouvrage dont le titre enchante : Le Seigneur de la danse. Son sous-titre est puissamment évocateur : Essai sur la joie d’être libre et sur le plaisir de jouer[1]. Ces mots s’enracinent dans le terreau biblique comme en témoigne le psaume de ce jour. « Les justes sont en fête, ils exultent ; devant la face de Dieu, ils dansent de joie » (Ps 67,4). En cette période terne de fin des vacances où la vie ordinaire reprend ses droits et déjà grignote les saveurs de l’été, laissons-nous emporter par ce mouvement qui traverse les Écritures. Rappelons-nous David bondissant devant l’Arche du Seigneur (2 Sm 6,14), ou encore le petit Jean-Baptiste tressaillant d’allégresse dans le sein d’Élisabeth (Lc 1,41). Tout à la joie d’accompagner la montée de l’Arche de Dieu à Jérusalem, le roi David se moque des convenances et brave les critiques que lui adresse Mikal, fille de Saül : « Oui, je danserai devant le Seigneur » (2 S 6,21). Quant au Précurseur, c’est la salutation de Marie qui le fait sauter : « Au moment où Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant remua en elle ». « L’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute » affirme Ben Sira (3,29).

Avec « les myriades d’anges en fête » et « l’assemblée des premiers-nés » (Hb 12,23) qui nous précèdent dans les cieux, à notre tour prêtons « l’oreille de notre cœur »[2] selon la belle expression de saint Benoît et osons honorer l’invitation du Maître de la noce : « Entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,23).

Tout compte pour réussir un repas de fête : le menu, la décoration, la place des invités. C’est souvent à table que s’annoncent des choses essentielles ou se vivent des moments importants. La table est un reflet de nos relations. Elle est aussi un lieu privilégié pour Dieu. La gratuité est plus importante que la réciprocité. Serons-nous capables de répondre à son invitation à entrer dans la danse et de nous laisser aimer par lui ? Car Dieu peut faire de nous bien plus que ce que nous pouvons faire de nous-mêmes, avec nos propres forces.

 

[1] Traduit de l’allemand par A. Liefooghe. Paris, Le Cerf, Marne, 1972, 150 p.

[2] Prologue de la Règle de Saint Benoît, verset 1.