C 27 LUC 17, 05-10 (14)
02.10.2022 : Chimay
Frères et sœurs, la prière d’Habacuc commence par un cri de révolte : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? » Ce cri de souffrance était celui du prophète. Nous l’avons entendu s’adresser à Dieu : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent » (Ha 1,2-3). (Le royaume de Juda est en butte à la convoitise de ses voisins, qu’il s’agisse de l’Egypte ou de Babylone). Ce cri du prophète est bien souvent le nôtre. Tous les jours, les médias nous rappellent à quel point ce mal et cette violence sont bien présents dans notre monde. Comme le prophète, nous crions vers le Seigneur : « Combien de temps ? Pourquoi ? Pourquoi Dieu reste-t-il silencieux devant la violence, le harcèlement, les prises d’otage et le mépris ? » Mais Habacuc, loin de perdre la foi, s’obstine dans la prière malgré le silence de Dieu. Et Dieu répond : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1,4).
Devant la violence qui nous entoure, la vision d’un monde réconcilié tarde à se réaliser. Pourtant, elle viendra, certainement, et ne décevra pas le juste qui vit par sa fidélité. Notre réponse, c’est celle de la foi. Bien souvent, nous avons l’impression que le salut promis paraît tarder. Il faut toute l’énergie de l’espérance pour le croire possible. C’est pour cette raison que l’apôtre Paul recommande à Timothée (2 Tm 1,6-14) et à chacun de nous de réveiller le don de Dieu ; il veut nous aider à vaincre la peur pour témoigner avec courage de l’espérance qui nous anime. « Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de force, d’amour et de pondération pour annoncer l’Évangile ». Nous ne devons pas craindre de rendre témoignage à notre Seigneur. L’Évangile du Christ doit être reçu et proclamé dans le monde entier de génération en génération. « Garde le dépôt de la foi (i.e. l’Évangile) dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous » (2 Tm 1,14).
La suite de la prière d’Habacuc nous montre que le mal et la violence ne viennent pas de Dieu. Bien au contraire, le Seigneur ne cherche qu’à nous en libérer et nous sauver. Il devient donc urgent que chacun se mette dans une attitude d’accueil et de prière : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur ». Le psaume 94 que nous avons prié nous invite précisément à venir, à entrer, à écouter. Notre Dieu reste fidèle à son alliance ; il est notre rocher, notre salut. Nous sommes son bien le plus précieux.
Mais comme les apôtres, nous avons besoin de nous tourner vers Jésus pour lui adresser cette prière : « Augmente en nous la foi ! » (Lc 17,5). Si nous avions la foi, si nous vivions notre foi, que ne ferions-nous pas ? que n’oserions-nous pas ? Car c’est vrai, il faut beaucoup de foi pour continuer à annoncer le Salut comme une bonne nouvelle. Il y a tant d’imprévus qui tendent à nous détourner de cette mission. L’Évangile nous parle de la foi comme d’une petite graine. Celle-ci est si minuscule qu’elle finit parfois par se perdre. Il n’est pas facile de vivre en disciple du Christ dans un monde hostile ou indifférent. Comment témoigner de l’Évangile quand on ne voit que ce qui va mal dans nos communautés chrétiennes ? Comment parler d’un Dieu amour à des hommes, des femmes et des enfants qui vivent dans la misère et qui sont victimes de l’exclusion et du mépris ?
La réponse, c’est Jésus lui-même qui nous la donne par ses paroles mais surtout par toute sa vie. Tout l’Évangile nous le montre en parfaite communion avec son Père. C’est cette foi qu’il veut nous inculquer, une foi qui est confiance totale et un service, y compris sur la croix. Rien n’est impossible avec une telle foi : elle transporte les montagnes. Elle fait surmonter tous les plus grands obstacles. Bien sûr, il n’est pas question de pouvoirs magiques. Avoir la foi, c’est donner toute sa confiance à Jésus malgré les apparences. Jésus nous parle de l’arbre qui se jette dans la mer. Dans la Bible, l’arbre est symbole de vie et la mer symbole de mort. Qu’un arbre aille se planter dans la mer, c’est bien ce que Jésus a fait : il a planté la vie dans la mort, et la mort a été vaincue. Par sa mort et sa résurrection, il nous a ouvert un passage vers la vraie vie. Nous pouvons vraiment lui donner toute notre confiance, car rien ne peut nous séparer de son amour (Rm 8,35).
Déraciner un arbre, le planter dans la mer. L’exploit n’est pas à la portée du tout-venant. Or Jésus nous l’assure, la foi mène à des prodiges. Mais comment décrire une telle foi ? Un claquement de doigt suffirait-il à guérir toutes les maladies ? Quitte à aider la foi de transes et de prières autosuggérées, certains gourous s’adonnent à le faire croire. Pour d’autres chrétiens, la foi se résume à des lunettes donnant à percevoir de nobles valeurs. Or, la foi ne surpasse-t-elle pas les sagesses les plus nobles ? Car Dieu en personne est descendu à hauteur d’homme, son Fils a connu le berceau, bu le lait maternel, scié des planches avec Joseph, il s’est ancré dans la vie humaine. Et, après trente ans enfouis dans la vie commune, il a mené hommes et femmes à déceler, au fond de leur cœur, l’étincelle divine. Dès lors, la foi ne se résume pas à des exploits ou des valeurs, elle est d’abord un attachement au Seigneur : nous fier à lui, garder la tête haute, même lorsque nos vies vacillent ou explosent de toutes parts. Avoir la foi ne serait-il pas nous laisser aimer et entraîner par le Christ, même aux pires heures de l’existence ? Certes, par la foi, d’authentiques saints accomplissent des prodiges et stimulent des multitudes à espérer. Mais si l’extraordinaire résonne en leurs vies avec justesse, c’est en raison de leur attachement, profond et humble, au Ressuscité.
L’Évangile insiste aujourd’hui sur la puissance extraordinaire de la foi, du service et de la prière ; mais en même temps, il nous rappelle que nous n’avons pas à nous en glorifier. Nous avons tout reçu de Dieu sans mérite de notre part. Si notre témoignage porte du fruit c’est parce que Dieu est là. Sans lui, rien ne serait possible. L’Évangile nous dit que nous sommes « des serviteurs quelconques » (Lc 17,10). On pourrait traduire : « Nous ne sommes que des serviteurs ». C’est vrai, cette responsabilité ne repose pas d’abord sur nous mais sur Dieu lui-même. Et pour nous, c’est un véritable soulagement.
Mais ne disons pas que nous sommes inutiles. Si le serviteur était vraiment inutile, son maître ne le garderait pas. Et si Dieu nous prend comme serviteurs, c’est qu’il compte sur nous, sur notre prière, sur la puissance de la prière. Nous sommes quelconques, mais avec notre petit travail quelconque, il fait sa moisson. Dieu donne à nos actes les plus simples une efficacité inouïe. Tout cela devrait nous remplir de fierté. Nous n’avons pas à nous inquiéter. Le salut est une œuvre bien plus spectaculaire que de transplanter des arbres dans la mer. Contentons-nous d’être des serviteurs. Lui, il fera le reste. Quand le Seigneur, nous appelle, il nous fait comprendre que le principal travail, c’est lui qui le fait. Pour qu’il se réalise, le Christ nous demande de garder, malgré les épreuves du temps, une foi fidèle, d’oser croire à l’impossible et de vivre en simples serviteurs : tout nous est déjà donné.
En ce dimanche, c’est le Christ qui nous rassemble. En participant à cette Eucharistie, nous le laissons déposer en nous sa puissance, la puissance de la prière. « Priez et souriez » recommandait avec insistance le Padre Pio à ceux qui venaient le consulter. Et François Mauriac ajoute : « Certains méprisent le chapelet … parce qu’ils méconnaissent la puissance de la prière ».