A 02 JEAN 01,29-34 (15) Chimay :
15.01.2023
Chers frères et sœurs, Jean Baptiste voit Jésus venir vers lui. Mais que veut dire « voir venir » ? Rappelons-nous la parabole du semeur : « Je leur parle en paraboles, parce qu’en regardant ils ne voient point, et qu’en écoutant, ils n’entendent pas et ne comprennent pas » (Mt 13,13). Ainsi peut-on regarder de ses yeux et ne pas voir ce qui vient, Celui qui vient. C’est encore ce que relate le livre de l’Exode à propos du Pharaon, dont le cœur est endurci et qui ne tiendra aucun compte des prodiges accomplis par Moïse et que pourtant il voit de ses yeux (Ex 8,15).
Moïse a beau parler et parler encore, réaliser des miracles et déclencher des fléaux, c’est comme si Pharaon et ceux qui le soutiennent restaient muets, aveugles, engoncés dans ce qu’ils ont décidé, sans que rien ne les entame. Voir et entendre peuvent ne rien changer à nos certitudes. Comme ces témoins du relèvement de la mort de Lazare (Jn 11,1-44) qui, alors qu’ils ont assisté à un miracle inouï, décident « dès ce jour-là » de mettre à mort Jésus (Jn 11,53).
Ils ont pourtant vu ses gestes de vie, entendu ses paroles de résurrection, et c’est de la haine qu’ils en ont conçu. Jean Baptiste, lui est un voyant. Voir Jésus venir vers lui, vers sa vie, suffit à lui faire confesser qu’il est le Christ, l’agneau de Dieu. Cet agneau qui sera mené à l’abattoir d’un procès inique et d’une mort ignominieuse (Is 52,13-53,12). Comme cet agneau sacrifié qui sauvera la vie des premiers nés israélites, signe alors de la délivrance, de la libération de l’esclavage. Oui, Jean Baptiste sait de la sûreté de son cœur et de sa foi que cet homme, fils de l’homme et fils de Dieu, vient le délivrer, vient nous délivrer de ce qui entrave et tire notre vie vers le néant.
Au centre de l’Evangile d’aujourd’hui il y a cette parole de Jean Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ! » (Jn 1,29). Une parole accompagnée du regard et du geste de la main qui indique Jésus. Imaginons la scène. Nous sommes sur la rive du fleuve du Jourdain. Jean est en train de baptiser ; il y a beaucoup de monde, hommes et femmes d’âges variés, venus là, au fleuve, pour recevoir le baptême de conversion des mains de cet homme qui pour beaucoup rappelait Elie, le grand prophète qui neuf siècles auparavant avait purifié les Israélites de l’idolâtrie et les avait reconduits à la vraie foi dans le Dieu de l’alliance, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (1 R 18,25-41).
Jean annonce que le règne de Dieu est proche, que le Messie va se manifester et qu’il faut se préparer, se convertir et se comporter avec justice ; et il se met à baptiser dans le Jourdain pour donner au peuple un moyen concret de pénitence (Mt 3,1-6). Les gens venaient pour se repentir de leurs péchés, pour faire pénitence, pour recommencer leur vie. Lui il sait, il sait que le Messie, le Consacré du Seigneur, est désormais proche, et que le signe pour le reconnaître sera que l’Esprit-Saint se posera sur Lui ; en effet Il apportera le vrai baptême, le baptême dans l’Esprit-Saint (Jn 1,33).
Et voici que le moment arrive : Jésus se présente sur la rive du fleuve, au milieu du peuple, des pécheurs – comme nous tous. C’est son premier acte public, la première chose qu’il fait quand il quitte sa maison de Nazareth, à trente ans : il descend en Judée, il va au Jourdain et se fait baptiser par Jean. Nous savons ce qui s’y passe : l’Esprit-Saint descend sur Jésus comme sous la forme d’une colombe et la voix du Père le proclame son Fils bien-aimé (Mt 3,16-17). C’est le signe que Jean attendait. C’est Lui ! Jésus est le Messie. Jean est déconcerté certes, parce qu’il s’est manifesté d’une façon impensable : au milieu des pécheurs, baptisé comme eux, ou plutôt pour eux. Mais l’Esprit éclaire Jean et lui fait comprendre que c’est ainsi que s’accomplit la justice de Dieu, que s’accomplit son dessein de salut : Jésus est le Messie, le Roi d’Israël, non pas avec la puissance de ce monde, mais plutôt comme Agneau de Dieu, qui prend sur lui et enlève le péché du monde.
Ainsi Jean le montre aux gens et à ses disciples. Parce que Jean avait un cercle de disciples nombreux, qui l’avaient choisi comme guide spirituel, et certains parmi eux devinrent les premiers disciples de Jésus. Nous connaissons bien leurs noms : Simon, appelé ensuite Pierre, son frère André, Jacques et son frère Jean. Et encore d’autres, tous pêcheurs ; tous Galiléens, comme Jésus. Pourquoi s’arrêter longuement sur cette scène ? Parce qu’elle est décisive ! Elle n’est pas une anecdote. Elle est un fait historique décisif ! Cette scène est décisive pour notre foi ; et elle est décisive aussi pour la mission de l’Eglise. L’Eglise, en tout temps, est appelée à faire ce que fit Jean le Baptiste, à indiquer Jésus aux gens en disant : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ! » (Jn 1,29). Il est l’unique Sauveur ! Il est le Seigneur, humble, parmi les pécheurs, mais c’est Lui : ce n’est pas un autre, plus puissant, qui viendrait ; non, c’est Lui et Lui seul qui sauve son peuple du péché, le libère et le conduit à la terre de la vraie liberté.
Ce sont les paroles que nous, les prêtres, redisons chaque jour, durant la Messe, quand nous présentons le pain et le vin devenus le Corps et le Sang du Christ. Ce geste liturgique représente toute la mission de l’Eglise : « Voici l’Agneau de Dieu. Voici Celui qui enlève les péchés du monde ». L’agneau pour un juif, c’est d’abord l’animal immolé chaque jour dans le Temple de Jérusalem pour purifier le peuple de ses péchés. Cet agneau immolé était lui-même signe de l’agneau de la Pâque originelle. Quand Dieu avait libéré son peuple de l’esclavage.
Les prophètes mettent des mots sur leur vie intérieure et nous permettent ainsi de mieux comprendre la nôtre. Le prophète Isaïe relate sa vie intérieure. Il partage un constat qui vient de loin en lui. « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » (Is 49,5). Le terme hébreu traduit par valeur n’a rien à voir avec un prix à payer ou une chose qui en vaudrait plus qu’une autre. Le mot hébreu employé signifie ce qui est lourd, qui pèse, l’inverse de ce qui est léger. C’est ce terme que l’on traduit par gloire. Isaïe comprend qu’il n’est pas rien. Il fait le constat qu’aux yeux de Dieu, il a du poids c’est-à-dire une place, une existence. Il n’est pas transparent, ne passe pas inaperçu. Le regard de Dieu le fait exister. Cette certitude lui fait dire que sa force, l’énergie de vie qui lui fait soulever les montagnes, ne vient pas de lui. En existant face à Dieu, Isaïe comprend que ce regard lui permet de vivre, de croire en lui et aux autres et de donner du sens à son existence. Il se sait aimé de Dieu.
Il est fort possible que ce soit une expérience du même ordre que Jean Baptiste réalise auprès de Jésus. Il constate que l’Esprit ne fait pas que descendre sur Jésus mais qu’il demeure en lui. Le constat de Jean rejoint celui d’Isaïe. Il reconnaît en Jésus quelqu’un qui a du poids, c’est-à-dire quelqu’un qui vit de ce regard de Dieu sur lui. Jésus sait que sa force vient de Dieu. Il ne le sait pas intellectuellement, il l’expérimente directement, il en vit. Jean le remarque. Jésus n’est pas sur courant alternatif, il n’alterne pas entre des moments de proximité à Dieu et d’éloignement. Jésus pèse parce qu’il est ouvert, tourné vers ce regard de Dieu qui donne vie. Cette évidence, Jean en fait le constat et en témoigne. Jésus a du poids aux yeux de Dieu et Dieu demeure en lui. Mais chacun de nous peut dire aussi : « J’ai du prix aux yeux du Seigneur ». Jésus regarde et aime chacun de nous. Que la Vierge Marie, Mère de l’Agneau de Dieu, nous aide à croire en lui, à son amour et à le suivre. Car il est le Dieu fidèle, éternellement.