A CARÊME 03 JEAN 04, 05-42 (14) Chimay :

12.03.2023

Frères et sœurs, la Parole de Dieu d’aujourd’hui nous parle de l’eau qui vient à manquer et de celle qui est « jaillissante en vie éternelle » (Jn 5,14). Le livre de l’Exode (17,3-7) nous rapporte un moment où le peuple assoiffé dans le désert a mis Dieu au défi de combler sa soif. Il venait de quitter une terre d’esclavage, l’Égypte, pour se rendre en Terre promise. Mais pour y parvenir, il fallait traverser le désert de Sîn d’oasis en oasis. Et à l’étape de Réphidim, l’avant-dernière étape avant le Sinaï, il n’y a pas d’eau. Le manque d’eau, c’est une question de vie ou de mort. Alors que faire ? Le texte nous dit que les Hébreux ont récriminé contre Moïse : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » (Ex 17,3). C’est bien beau de nous avoir fait sortir d’Égypte pour conquérir notre liberté ; mais si c’est pour mourir dans le désert, à quoi bon ? Il vaut mieux être esclaves et vivants que libres mais morts. À travers Moïse, c’est contre Dieu que les Hébreux se révoltent ; pourtant le Seigneur n’a jamais cessé de nourrir et d’abreuver son peuple rebelle : il lui a donné l’eau et la manne dont il avait besoin pour reprendre des forces. Grâce à cela, le peuple a pu marcher jusqu’au Sinaï et recevoir une autre nourriture, la Parole de Dieu.

Cette histoire nous rejoint dans ce que nous vivons : nous sommes tous et sans exception, à des degrés divers, malfaisants, malveillants, infidèles et inconstants, bref nous sommes tous pécheurs, comme les Hébreux au désert qui ne cessent de récriminer. Quand tout va mal, nous nous révoltons contre Dieu : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? », mais cette révolte est déjà une prière que Dieu écoute ; il nous fait comprendre qu’il n’a jamais cessé de nous aimer. Aujourd’hui comme autrefois, il ne demande qu’à nous combler. Ce temps du Carême nous est donné pour puiser à la source de l’amour qui est en lui.

Dans l’épître aux Romains (5,1-2.5-8), Saint Paul insiste sur la force de cet amour indéfectible : nous pouvons toujours compter sur lui, même dans les pires moments de notre vie. Cette certitude ne s’appuie pas sur des mots mais sur des gestes de Dieu à notre égard. L’espérance ne trompe pas puisque « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,2). En lisant l’Évangile, nous découvrons que le Christ s’est livré pour nous et pour le monde entier, qu’il nous donne accès au cœur de Dieu. La bonne nouvelle, c’est que Dieu ne nous abandonne pas à notre misérable condition, à notre indigence spirituelle, il s’est fait l’un de nous en Jésus et « il est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,5.8).

Aujourd’hui, c’est à une femme de mauvaise vie, une étrangère de surcroît, que Jésus annonce pour la première fois qui il est. Il part de l’eau dont nous avons tous besoin pour vivre. Cela se passe en Samarie, au puits de Jacob. C’est là que Jésus s’est arrêté, fatigué par la route. Et c’est là qu’il rencontre la Samaritaine. Normalement, cette entrevue n’aurait pas dû avoir lieu ; les Juifs et les Samaritains évitaient de se rencontrer. Des rivalités très anciennes les opposaient. En conversant avec la Samaritaine au bord du puits, Jésus lui révèle la soif de Dieu qui l’habite et que lui seul peut combler.

À travers cette rencontre, nous découvrons que le Christ n’est pas venu pour le seul peuple juif. Il est venu appeler au salut tous les hommes, y compris les païens. La Samaritaine est la première. Cette femme venue puiser est aussi le symbole de notre humanité. Dieu nous voit nous précipiter dans des recherches illusoires et il fait tout pour nous amener à la lumière. Il envoie son Fils « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10). Quand il demande à la Samaritaine « donne-moi à boire » (Jn 4,7), nous comprenons qu’il a soif de la sauver. Il a soif de son affection et de la nôtre. Et la Samaritaine sera progressivement amenée à reconnaître en Jésus le Juif, un prophète, le Messie, la Source de l’eau vive et finalement le Sauveur du monde.

Cette source dont parle Jésus est le symbole de la vie de Dieu à laquelle on s’abreuve pour vivre . C’est auprès de lui que nous sommes tous invités à nous désaltérer. En effet, notre marche chrétienne est souvent fatiguée par les doutes, les échecs, les aspirations non satisfaites. On croit trouver le bonheur dans les objets de consommation, les personnes qui nous aiment, mais au bout du compte, on est déçu. Alors, comme la Samaritaine, nous sommes invités à venir au puits et à nous asseoir près de Jésus qui nous y attend. C’est cette démarche que nous faisons chaque fois que nous célébrons un sacrement. Une rencontre personnelle avec le Christ dans la prière, la méditation de la Parole de Dieu et surtout la célébration de l’Eucharistie.

Assis là au bord du puits, Jésus demande à la Samaritaine : « Donne-moi à boire ! » (Jn 4,7). Si elle savait qui lui fait cette demande, c’est elle qui lui demanderait à boire ! Dieu désire que nous le désirions. Dieu aspire à ce que nous ayons soif de sa présence vivifiante. La femme de Samarie venue puiser l’eau en est un bel exemple. Elle est touchée par la grâce de la rencontre au puits de Sychar. « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? » (Jn 4,29). Elle propage en ville la bonne nouvelle d’être connue par un tel Amour. Elle en devient missionnaire. L’évangile de Jean nous place toujours dans un dynamisme où nous devenons l’ami du Christ. Grâce au témoignage de la Samaritaine, « les gens de Sychar se dirigeaient vers Jésus » ; et ils pouvaient ajouter : « Ce n’est plus à cause de ce que tu as dit que nous croyons maintenant. Nous l’avons entendu par nous-mêmes » (Jn 4,42).

Quand Jésus offre l’eau vive, c’est sa propre vie qu’il nous donne, sa vie de Fils, sa vie de Dieu. Mais pour accueillir cette eau pure, il nous faut désensabler notre puits, il nous faut laisser l’Esprit y faire son chemin, y descendre profondément là où nous n’osons pas aller seuls, dans nos ténèbres intérieures, et guérir nos blessures profondes. Alors peut-être un jour serons-nous capables de dire avec les habitants de Sychar : « C’est vraiment lui le Sauveur du monde » (Jn 4,42).