A JEUDI SAINT JEAN 13, 01-15 (9) 

Chimay : 06.04.2023

Frères et sœurs, bien souvent, les mots sont trop pauvres pour contenir tout l’amour que l’on voudrait exprimer. Alors, ils s’effacent devant les gestes. Ces derniers peuvent avoir plus de poids que de simples paroles. Ce soir, avec tous les chrétiens du monde entier, nous nous concentrons sur un geste du Christ : « Jésus, ayant aimé les siens, les aima jusqu’au bout… Se levant de table, il se mit à laver les pieds de ses disciples » (Jn 13,1.4).

Il est absolument essentiel que nous comprenions bien ce que Jésus a fait. Dans ce récit, il s’agit d’un testament qui nous fait part des dernières volontés de Jésus. Ce testament de Jésus, c’est celui de Dieu. Il ne parle pas de considérations hautement religieuses, mais de servir, laver les pieds des disciples ; c’est le travail du serviteur, de l’esclave. Mais grâce à Jésus, « qui ne nous appelle plus ses serviteurs, mais ses amis » (Jn 15,15), c’est aussi le geste d’un ami. Ce geste en dit plus sur sa tendresse pour les siens que tous les mots. Lui, le Maître et Seigneur, a lavé les pieds de ses disciples. À plus forte raison, nous devons, nous aussi nous mettre au service les uns des autres. Voilà un des grands messages de ce jeudi saint.

Tout cela n’est pas très glorieux. Ce n’est pas la gloire au sens de la gloriole. Certains ne cherchent qu’à paraître et à briller. Ici, rien de tel. D’ailleurs, si nous cherchons la signification du mot gloire dans la langue des hébreux, nous découvrivrons qu’il s’agit « de ce qui a du poids ». Une vie qui a du poids, c’est celle qui est au service des autres. C’est ça une vie réussie. Parfois, des enfants qui remplissent un formulaire d’inscription disent que leur maman ne fait rien. Ils veulent dire qu’elle n’a pas de profession. Mais il faut bien comprendre qu’elle fait tout à la maison. Elle est au service de tous. Trop souvent, cet humble service de tous les jours n’est pas reconnu à sa juste valeur.

Ce service passe par des choses toutes simples : on va faire des courses pour des personnes qui sont dans le besoin, on téléphone aux personnes seules, on prend le temps d’écouter celui ou celle qui a besoin de parler. Jésus a fini sa vie en tablier. Lui-même nous recommande de rester « en tenue de service ». Peu importe que ce soit celle de la ménagère, la blouse de l’infirmière ou la tenue règlementaire de tel ou tel lieu de travail. L’important c’est de servir, de donner le meilleur de nous-mêmes pour que les autres soient plus heureux.

« La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le coeur de l’homme », disait le terrible Machiavel, dans L’art de la guerre. L’actualité du monde ne donne-t-elle pas à cette phrase une cruelle résonance ? Jésus sait mieux que nous « ce qu’il y a dans le cœur de l’homme » (Jn 2,25). Par le lavement des pieds, il opère le renversement le plus intense qui soit. Il incarne, non plus la soif dominatrice, mais la soif divine d’aimer. Non seulement il signifie sa façon d’être roi, mais il nous invite à faire de même. « Heureux serons-nous », dit-il en quelque sorte en cet évangile du Jeudi saint. « Heureux serons-nous », si nous nous lavons les pieds les uns les autres. C’est une béatitude que de consacrer notre vie au partage de cet amour.

 Jésus est au milieu de nous comme celui qui sert (Lc 22,27). En lavant les pieds de ses disciples, il se livre librement. La Sainte Cène et le lavement des pieds sont les valeurs primordiales dont parlent les saints, confiés par Jésus à son Église. Judas trahit l’Amour qui refusait d’être roi à la manière des hommes. Pierre résiste encore au dessein profond du Seigneur. Jésus, venu de Dieu et allant vers lui, accomplit l’indicible geste. Dieu prend, en son Fils, la tenue de service. Demain il sera crucifié par amour pour chacun et chacune de nous.

Si l’évangile insiste si fort sur ce service des autres, c’est qu’il est en lien très étroit avec l’Eucharistie. Pour saint Jean, raconter le Pain et le Vin ou laver les pieds des disciples, c’est tout un. Il s’agit toujours de donner sa vie. Cet évangile veut nous apprendre à nous donner comme Jésus. Quand il nous dit : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19), cela signifie : « Faites-en autant. Je vous ai lavé les pieds pour que vous fassiez de même entre vous » (Jn 13,15).

Soeur Emmanuelle, l’abbé Pierre, Mère Teresa et bien d’autres avaient bien compris que celui qui a dit : « Ceci est mon Corps » (Lc 22,19) est le même que celui qui a dit : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger » (Mt 25,35). Écoutons ce témoignage que Dom Helder Camara racontait aux chrétiens du Brésil : « Un jour, des fidèles viennent me demander de célébrer une messe de réparation dans leur village. Pourquoi ? Parce que des voleurs ont pillé l’église. Ils ont cassé le tabernacle, emporté le ciboire, et, en partant, ils ont jeté les hosties dans la boue. J’y suis allé, bien sûr, et je leur ai dit : “Vous êtes horrifié parce que le Corps du Christ a été jeté dans la boue. Mais n’oubliez pas qu’ici et ailleurs, le Corps du Christ est jeté dans la boue quand les pauvres et les petits sont humiliés”. Notre devoir de chrétiens c’est de protester et de résister contre tout ce qui défigure l’homme. Car à travers notre frère ou notre soeur, c’est le Corps du Christ qui est défiguré ». Paroles fortes.

À propos de la messe, on parle de service religieux. C’est une expression très belle. Mais nous devons toujours nous rappeler que ce service ne peut être service de Dieu que s’il est service de l’homme. Nous sommes envoyés dans le monde pour faire ce que Jésus a fait, servir et aimer comme lui et avec lui. Faire mémoire de Jésus c’est tout faire « pour que rien de lui ne se perde » (Jn 6,12).

Ce soir, nous prendrons le temps de méditer le mystère de la Dernière Cène ; c’est l’âme remplie de gratitude que nous nous plongerons dans l’océan d’amour qui jaillit de son coeur pour que le Seigneur transforme notre vie et celle de notre monde.