A PÂQUES 03 LUC 24,13-35 (16)

Chimay : 23.04.2023

Frères et sœurs, les textes de la Parole de Dieu de ce dimanche nous apportent des témoignages sur la résurrection de Jésus. Nous avons tout d’abord celui de l’apôtre Pierre (Ac 2,14.22b-33). Dans sa vie, il y a eu un changement radical. Nous nous rappelons de sa réponse quand Jésus avait annoncé sa Passion et sa mort. Il ne le supportait pas. Ça ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait du Messie. Et quand Jésus a été arrêté, il a eu tellement peur pour sa vie qu’il a affirmé ne pas faire partie de son groupe, ne pas le connaître.

Mais au jour de la Pentecôte, tout est changé. Les apôtres ont reçu l’Esprit Saint. Pierre prononce la première homélie chrétienne. Désormais, il peut témoigner avec force et courage : « Ce Jésus que vous avez fait mourir sur la croix, Dieu l’a ressuscité » (Ac 2,23-24). Sa mort n’est pas un échec. Il est vivant pour toujours ; tout cela était annoncé dans les Écritures. C’est de Jésus de Nazareth, mis à mort par les habitants de Jérusalem, que David annonçait la résurrection. Désormais, il faudra relire tout l’Ancien Testament à la lumière de la résurrection de Jésus. Cette bonne nouvelle a été annoncée d’abord au peuple juif, puis très tôt aux païens. Avec Jésus, la mort n’a pas le dernier mot ; le projet de Dieu débouche sur la vie.

Cet appel de Pierre, nous le retrouvons dans son épître (IPi 1,17-21) : ce Jésus qui est mort et ressuscité est le sauveur de tous les hommes. « Ce n’est pas l’or et l’argent qui nous ont rachetés de la conduite superficielle de nos pères ; c’est par le sang précieux de Jésus Christ que nous sommes purifiés ; c’est pour nous et pour la multitude qu’il a offert sa vie et versé son sang » (IPi 1,18-19). Son amour dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Nous sommes invités à recevoir cette lettre de Pierre comme un appel à une véritable conversion.

Avec l’Évangile de Luc, nous sommes ramenés au troisième jour après la mort de Jésus : deux disciples revenaient de Jérusalem. Ils avaient été témoins de la Passion et de la mort de leur Maître. Pour eux, tout était fini. C’était la fin d’une grande espérance. Saint Luc précise que l’un d’eux s’appelait Cléophas ; il ne dit pas le nom du deuxième. Mais si nous relisons cet Évangile dans notre contexte, nous pouvons dire que ce deuxième disciple c’est chacun de nous. En effet, nous sommes souvent ce disciple marqué par la tristesse et le découragement. C’est ce qui arrive quand nous voyons notre vie de tous les jours comme une défaite : la défaite de l’Évangile pour les chrétiens persécutés, pour les pauvres, les exclus, les victimes de la maladie, de la violence, des guerres, de l’abandon. Ils sont nombreux ceux et celles qui souffrent du désarroi et de la solitude. Cette défaite, c’est aussi quand nous disons qu’au point où nous en sommes, il n’y a plus d’espoir possible.

Mais voilà que, sur ce chemin d’Emmaüs, ce couple de disciples chemine sans le savoir avec le Christ ressuscité. Ils ne le reconnaissent pas : leurs yeux sont aveuglés par la tristesse et la déception. « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24,16). Qu’est-il arrivé à ces deux disciples faisant route vers Emmaüs pour croiser la route de Jésus sans pour autant le reconnaître ? Comment expliquer un tel empêchement ? Émotionnellement, les disciples sont bouleversés. Ils viennent de perdre leur Maître et ami. Leur sidération et leur tristesse les empêchent d’être totalement présents à leur propre vie. Rationnellement, les morts sont morts et le restent. Il n’est donc pas possible de rencontrer Jésus sur le chemin quelques jours après sa crucifixion. De plus, physiquement, Jésus ne semble plus être tout à fait le même. Passé par la mort, son être s’est modifié, le rendant méconnaissable y compris à ses proches. Enfin, il y a dans toute vie humaine cette difficulté à voir la vie ressurgir au moment où l’on s’y attend le moins.

Les raisons pour lesquelles les disciples ne reconnaissent pas le Christ quand ils le croisent sont les mêmes nous concernant. Les émotions nous ballottent d’un affect à un autre et se jouent de notre stabilité intérieure. Les arguments rationnels, logiques, les schémas mentaux, les habitudes de pensée amorphes et paresseuses dirigent notre vie et nous empêchent de regarder autrement ce qui nous arrive. Tout cela nous rend impossible de reconnaître le Christ ailleurs que dans les représentations pieuses ou dans l’histoire de Jésus de Nazareth. Nous aussi avons des difficultés à voir la vie là où elle est. Pour toutes ces raisons, seul Dieu peut venir à notre rencontre. Lui seul est en capacité de bousculer nos représentations et de fracturer nos calculs. C’est ce qui arrive aux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Les pèlerins d’Emmaüs – peut-être un couple d’ailleurs – ont alimenté l’imaginaire des peintres et des lecteurs pendant des générations, et ils nous touchent encore aujourd’hui. Cette histoire nous interpelle par-delà les siècles parce qu’elle raconte le cheminement tant extérieur qu’intérieur de deux personnages dans lesquels nous pouvons nous projeter. Cheminer avec Jésus sans le savoir, c’est bien ce que nous faisons la plupart du temps.

Le même Christ nous rejoint sur nos routes. Il rejoint notre monde qui souffre de toutes sortes de maux. Quand tout va mal, il est là. Mais trop souvent, nous ne le reconnaissons pas car nous sommes ailleurs. Et pourtant, il est toujours là, prêt à nous écouter. Nous pouvons lui crier notre souffrance, notre déception, notre tristesse.

C’est alors qu’il intervient pour nous expliquer les Écritures, Moïse, les prophètes… C’est à cela que nous sommes tous appelés : accueillir le Christ, nous laisser transformer par son Évangile. Saint Luc précise que le cœur des disciples était brûlant tandis qu’il leur parlait. C’est ce qui était annoncé par le prophète Isaïe : « Ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission » (Is 55,11). C’est aussi cela que nous pouvons demander au Seigneur : que notre cœur soit rempli de l’amour qui jaillit de son cœur.

Dans cet Évangile, nous découvrons une autre étape : c’est la demande des disciples : « Reste avec nous ! » (Lc 24,29). Une telle rencontre ne peut s’arrêter ainsi. L’Évangile nous parle d’un repas, d’un pain rompu et distribué. Alors leurs yeux s’ouvrent et ils le reconnaissent (Lc 24,31). La rencontre est fugitive, mais elle transforme leur vie, la faisant passer d’un avant de tristesse et d’amertume à un après de dynamisme et d’ouverture. Autant dire que revenir à Jérusalem ne s’apparente pas à un retour à la case départ, mais signifie la possibilité de vivre en ce lieu du cœur, ouvert à Dieu et à autrui. Pour reconnaître le Christ ressuscité, présent dans notre vie, il nous faut donc le regard de la foi, une foi réchauffée par la Parole de Dieu et l’Eucharistie. C’est ainsi que le Christ ressuscité nous rejoint au cœur de nos vies et de nos épreuves pour raviver et fortifier notre espérance.

Et quand on a reconnu et accueilli le Christ vivant, on ne peut pas le garder pour soi-même ; on a envie de le crier au monde. Même si nous ne pouvons plus sortir, nous sommes appelés pour témoigner, aux yeux de tous, de la foi qui nous anime. Notre témoignage doit rejoindre tous les hommes, en particulier ceux qui sont aux « périphéries ». Que le Seigneur nous donne force et courage en vue de cette mission.