A 13 MATTHIEU 10, 37-42 (9)
Chimay : 02.07.2023
Frères et sœurs, dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus nous adresse des paroles très fortes. Nous y trouvons trois éléments absolument essentiels : l’accueil, l’attachement à Jésus et la marche à la suite du Christ. C’est à l’accueil que nous réservons au plus petit des croyants que se mesure notre accueil du Christ lui-même.
Entendues au pied de la lettre, ces paroles de Jésus peuvent décourager les meilleurs d’ente nous : préférer Jésus à sa famille, prendre sa croix, perdre sa vie… Mais entendons-nous. Préférer le Christ ne veut pas dire que nous ne devons pas aimer nos proches. Ce qu’il attend de nous, c’est que nous lui donnions la première place. C’est une question de préséance. Vous pouvez aimer votre chat, mais encore plus vos frères et sœurs, et encore beaucoup plus vos parents qui vous ont donné la vie. Mais c’est le Christ qui est à l’origine de la vie. « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et la vie en abondance » (Jn 10,10).
Quand le Christ a la priorité dans notre vie, il devient notre modèle. Nous aussi, nous pouvons aimer les autres de plus en plus à la manière de Jésus. Quand des jeunes fiancés décident de s’unir pour la vie, cela ne veut pas dire qu’ils renient leurs familles, leurs parents, leurs amis. C’est la même chose dans notre relation au Christ : le préférer c’est devenir capable d’aimer les autres en vérité. Lui-même nous recommande d’aimer Dieu de tout notre cœur et d’aimer notre prochain comme-nous-mêmes (Mc 12,31).
Quand saint Matthieu écrit son Évangile, il s’adresse à des croyants qui devaient faire un choix difficile dans leur démarche de conversion. Bien sûr, ils étaient heureux d’adhérer au Christ ; mais en même temps, ils étaient parfois incompris et rejetés par les membres de leurs familles. Ce rejet pouvait aller jusqu’à la persécution. Mais, malgré les menaces, beaucoup ont choisi de rester fidèles à leur attachement au Christ.
Cette communauté primitive se composait de disciples itinérants – par exemple saint Paul, saint Luc, saint Barnabé – et de sédentaires. Ces derniers étaient invités à accueillir les autres ; l’accueil est une valeur essentielle dans la religion juive : nous avons pu nous en rendre compte en écoutant la première lecture ; elle nous parle du prophète Élisée qui est accueilli par la riche Sunamite (2R4,8-16). Cette femme se montre généreuse car elle a reconnu en lui un homme de Dieu. Mais elle porte en elle une souffrance dont elle ne parle pas : elle n’a pas de fils et son mari est âgé.
En écoutant ce texte de la Parole de Dieu, nous comprenons qu’accueillir l’autre c’est écouter ses confidences, partager ses joies et ses peines. Ce qui est important ce n’est pas la quantité et le luxe mais les qualités de l’accueil. Nous chrétiens, nous avons appris qu’à travers ces personnes que nous rencontrons, c’est Dieu qui est là, c’est lui que nous accueillons ou que nous refusons d’accueillir. N’oublions pas : c’est à nos qualités d’amour et d’accueil que nous serons reconnus comme disciples du Christ.
Dans sa lettre aux Romains (6,3-11), saint Paul nous parle du jour le plus important de notre vie, celui où nous avons été accueillis dans la grande famille des chrétiens. Nous l’avons compris, c’est du baptême qu’il s’agit. Paul révèle la nouveauté du baptême chrétien, laquelle consiste notamment dans un lien avec la Pâque de Jésus. Actuellement, nous avons un peu de mal à nous en rendre compte. Mais il faut savoir que dans l’Église primitive, les nouveaux baptisés venaient d’un monde sans Dieu. Pour eux, la vie n’avait aucun sens éternel. Mais Dieu les a rejoints et les a accueillis. Le baptême était pour eux une nouvelle naissance ; c’était une rupture radicale avec l’existence sans but qu’ils avaient connue jusque-là. Par le baptême, ils ont été plongés dans la Pâque de Jésus, pour vivre une vie nouvelle.
Notre accueil du Christ et notre attachement à lui nous poussent à l’engagement missionnaire. Jésus qui nous appelle tous à marcher à sa suite n’est pas un maître parmi d’autres. Il est le Fils de Dieu qui est « venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10). Nous sommes envoyés pour témoigner par notre vie et nos paroles de Celui qui nous habite. Nous contribuons à bâtir ce monde nouveau que Jésus appelle le Royaume de Dieu ; dans ce Royaume, l’écoute de l’autre, l’entraide, la solidarité, le soutien aux autres, la visite aux malades sont prioritaires. C’est Jésus lui-même qui nous le dit : « Tout ce que vous avez ait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).
Nous, disciples du Christ, nous sommes donc envoyés. Mais nous ne devons pas oublier que nous ne sommes pas notre propre source : nous ne parlons pas, nous n’agissons pas en notre nom. Nous ne devons pas nous enorgueillir de l’accueil qui est fait à notre témoignage. En effet, c’est Dieu qui agit dans le cœur de ceux et celles qu’il met sur notre route. Nous devons donc rester très humbles car sans Jésus, rien n’aurait été possible. Le rôle de l’Église, notre rôle à tous, c’est précisément d’accueillir tous ceux et celles qui se sentent attirés par lui.
Question un peu subtile : à quoi donc reconnaît-on « un saint homme de Dieu » au point de l’accueillir ? Il semble que c’est à la parole de vie dont il peut être porteur. Elle ne lui appartient pas, il n’en est pas la source, mais puisqu’elle vient de Dieu, il a charge de la transmettre. Au temps d’Élisée, une femme suggère ainsi à son mari qu’ils fassent une chambre sur la terrasse, pour que le prophète puisse s’arrêter chez eux. Lorsque celui-ci revient, il annonce à cette femme de la part de Dieu, à la façon des trois visiteurs d’Abraham (Gn 18), qu’elle va porter un enfant, elle qui désespérait d’en avoir. Le don offert par Élisée, et par Dieu, qui parle à travers lui à cette Sunamite, est un don spécial : c’est l’une des naissances miraculeuses racontées dans la Bible. Plus tard Jésus dira : « Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète recevra une récompense de prophète » (Mt 10,40).
Dans l’évangile de ce jour, l’accueil fait aux disciples est plus modeste. Jésus ne mentionne qu’un « simple verre d’eau fraîche » comme signe le plus clair de cette hospitalité ou de cet accueil. Et revient avec insistance le mot « prophète », qui renvoie avec force à la parole dite de la part de Dieu. Là est en effet l’essentiel, qui conduit à entendre l’appel profond de l’évangile : tout laisser, tout quitter pour Jésus, prendre sa croix et le suivre. Tel est l’appel du disciple : donner chaque jour de sa vie pour apprendre à la donner entièrement. La perdre à cause de Jésus, c’est la trouver. Selon les mots de Paul : « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6,4). C’est la promesse de Jésus.
Le dimanche, nous sommes réunis pour l’Eucharistie ; c’est Dieu qui nous accueille en sa maison. Il nous invite à son festin. Et à la fin de chaque messe, il nous envoie pour témoigner dans le monde de cet amour gratuit toujours offert. Les occasions ne manquent pas où nous pourrons rendre les autres plus heureux. À travers eux, c’est le Seigneur qui frappe à notre porte.