A 16 MATTHIEU 13, 24-43 (15)
Chimay : 23.07.2023
Frères et sœurs, nous sommes invités ce dimanche à découvrir le vrai visage de Dieu. Autrefois, on se le représentait comme un Dieu vengeur qui condamne sans pitié tous les faisant-mal. De fait, les abominations commises étaient incroyables. Et pourtant, Dieu n’a exterminé personne. Il a fait preuve à notre égard d’une patience extraordinaire. Dans sa bonté, il est venu au secours de notre faiblesse. Son grand désir a toujours été que le pécheur se convertisse et qu’il vive (Ez 18,23). Cela vaut même pour les ennemis de son peuple.
Dieu est plus humain que l’homme (Sg 12,13-19). Le gros problème de notre société, c’est la montée de l’intolérance. Quand un homme ou une femme sont enfermés dans leur mauvaise réputation, on ne leur laisse aucune chance. Par contre la patience de Dieu envers les pécheurs que nous sommes n’est pas signe de faiblesse, mais de l’espérance qu’il met en nous. En ce jour, nous nous tournons vers le Seigneur pour qu’il nous apprenne à voir ce monde comme lui-même le voit, avec un regard plein d’amour.
C’est ce message que nous retrouvons dans l’Évangile. Cette parabole du bon grain et de l’ivraie, nous la connaissons bien parce que nous l’avons entendue souvent ; cet homme qui sème le bon grain c’est Dieu. Nous n’oublions pas ce qui est dit dans le premier récit de la Création : « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1,31). Tout ce qui vient de Dieu est beau et bon. Le bon grain est mis en terre par Dieu. Il faut le dire et le redire, Dieu ne nous donne que du bon grain, mais il laisse exister dans le monde le bon grain et l’ivraie ; il ne connaît pas nos impatiences.
Le saint Curé d’Ars commentait ainsi ce passage de l’Évangile : « On voit dans l’Évangile aujourd’hui que le maître du champ ayant semé son grain en bonne terre, l’ennemi vint pendant son sommeil et y sema l’ivraie. Cela veut dire que Dieu avait créé l’homme bon et parfait, mais que l’ennemi est venu et a semé le péché. Voilà la chute d’Adam, terrible chute qui a donné l’entrée au péché dans le cœur de l’homme. Il faut arracher l’ivraie, dites-vous ? “Non, répond le Seigneur, de peur qu’en arrachant l’ivraie vous n’arrachiez le bon grain. Attendez jusqu’à la moisson”. Le cœur de l’homme doit rester ainsi, jusqu’à la fin, un mélange de bien et de mal, de vice et de vertu, de lumière et de ténèbres, de bon grain et d’ivraie. Dieu n’a pas voulu détruire ce mélange, et nous refaire une nature où il n’y aurait que du bon grain. Il veut que nous combattions, que nous travaillions à empêcher l’ivraie de tout envahir. Le démon vient semer les tentations sur nos pas ; mais avec la grâce nous pouvons le vaincre, nous pouvons étouffer l’ivraie. Trois choses sont absolument nécessaires contre la tentation : la prière pour nous éclairer, les sacrements pour nous fortifier et la vigilance pour préserver ».
Le problème, c’est qu’au lieu de « veiller au grain », souvent nous dormons. Nous nous installons dans la routine, la facilité ; nous oublions le Seigneur et son Évangile. Pendant que les gens dormaient, l’ennemi est venu. Il vient toujours pendant que nous dormons. Ce n’est pas pour rien que Jésus nous demande de « veiller et de prier pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41). C’est ce qui est arrivé à Pierre, Jacques et Jean au Jardin des Oliviers, la veille de la mort de Jésus. Nous ne devons jamais oublier que notre vie chrétienne est un combat de tous les jours contre « l’ennemi ». La priorité c’est le bon grain semé par le Seigneur.
L’ennemi, lui, ne dort pas. Il est toujours à l’affût pour semer l’ivraie. En grec, l’ivraie se traduit par zizanie. Ce que l’ennemi sème, c’est toujours la zizanie, c’est le trouble, la discorde, les bagarres, les calomnies. C’est tout ce qui est contraire à la communion. Tout cela est semé par l’ennemi. Nous le voyons dans nos paroisses, nos communautés, nos familles : on s’endort tranquillement, on n’est pas vigilant ; et quand on se réveille, on s’aperçoit qu’il y a de la zizanie partout.
Ce mal, nous le voyons tous les jours : à côté du pape François, ardent défenseur des pauvres, nous avons des extrémistes qui tuent et massacrent. Le pire, c’est qu’ils prétendent agir au nom de Dieu. Nous voudrions faire le ménage en enlevant l’ivraie. Mais Jésus nous demande de ne pas le faire. Ce serait ajouter de la haine à la haine, de l’ivraie à l’ivraie. Cet Évangile nous dit l’immense patience de Dieu. Il ne veut pas risquer d’arracher le bon grain avec l’ivraie. Il ne veut pas nous abimer. Le Créateur va s’occuper lui-même de cette ivraie. Et il nous demande de faire preuve de la même patience envers les autres. Il nous laisse discerner ce qui ne va pas dans notre vie, à faire fructifier nos talents, à ne pas nous culpabiliser de manière stérile. Lui-même nous accompagne jusqu’à la moisson.
Nous ne devons pas nous décourager quand nous avons l’impression qu’il y a de l’ivraie partout et que Dieu ne fait rien. « Le Seigneur use de patience envers tous » (2Pi 3,9). Il veut absolument que personne ne périsse mais que tous arrivent au repentir. Il est important que nous méditions sur cette patience de Dieu et sur le fait qu’il faut être rempli d’espérance : l’ivraie et la zizanie n’auront pas le dernier mot. Mais il ne faut pas passer son temps à dormir. Nous devons rester dans la vigilance.
Dans l’épître aux Romains (8,26-27), saint Paul nous invite à nous tourner vers notre Dieu. Mais laissés à nous-mêmes, nous en sommes bien incapables. C’est alors que le Seigneur intervient pour nous donner son Esprit Saint. Avec lui, nous devenons capables de nous ouvrir à l’amour du Père et à répondre à sa volonté. Le vrai Dieu n’est pas celui qui écrase ses ennemis. Il se présente à nous comme un Dieu plein d’amour qui veut le salut de tous les hommes.
Mais qui donc est Dieu ? Est-il tout-puissant, à la manière de Zeus, surplombant une humanité apeurée ? Le Dieu de Jésus n’a rien à voir avec le roi de l’Olympe, sa puissance est humble, discrète et délicate comme l’amour d’un Père, forte comme la joie d’un Créateur qui aime sans limite ses créatures et prend soin de chacune d’elles. Un Père dont la puissance se manifeste en donnant la vie. Dieu ne crée pas l’arbre tout fait, il sème une promesse d’arbre, une graine de moutarde. De même, en vue de la récolte, le semeur jette en terre des grains de blé. Le Mauvais a beau semer la zizanie, Dieu n’arrachera pas l’ivraie qui germe avec le blé. Il s’abstient de trancher et, patiemment, laisse la biodiversité faire son œuvre. À la différence du violent, sa puissance est une énergie d’amour faite de retenue, d’autolimitation. « Toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement » (Sg 12,16).
Reste que le semeur voit loin et grand. La moisson à venir le stimule à agir. Toute sa vie Jésus a posé de petits gestes annonçant de grandes choses. Douze disciples, presque rien, une semence d’Église... Jésus voit pourtant dans ce noyau douze tribus d’Israël déjà réunies. Il voit, il croit, il agit. Parce qu’il connaît la fin, il commence. Il sait que rien n’arrêtera l’œuvre du Père. Un jour, les païens viendront faire leur nid dans l’arbre de l’Évangile. Soyons donc des jardiniers patients, persévérants et simples : Dieu s’occupe de tout, il suffit de lui faire confiance.