A 19 MATTHIEU 14,22-33 (13)
Chimay : 13.08.2023
Frères et sœurs, toujours la Parole de Dieu nous engage sur un chemin de conversion. D’ailleurs on pourrait se poser la question : ai-je fait quelques pas sur la route qui mène à Dieu, disons depuis cinq ans ? Ne répondez pas tous en même temps ; je sais que ça pourrait être gênant. C’est ce qui apparaît pour Élie dans le Livre des Rois (1R 19,9-13). Il vient de combattre l’idolâtrie avec beaucoup d’ardeur. Alors sa vie se trouve en danger. Après 40 jours et 40 nuits de marche, il arrive sur la montagne de l’Horeb (le Sinaï). Il lui a fallu toute cette longue marche pour s’apercevoir qu’il n’était pas sur le bon chemin et que, peut-être, il s’était trompé de Dieu. Comme ses adversaires, il s’imaginait un Dieu de puissance.
Mais Dieu ne l’abandonne pas : il l’invite à se tenir là et à attendre son passage ; il y eut un ouragan, un tremblement de terre, puis un feu. Mais le Seigneur n’était ni dans l’un ni dans l’autre. Après cela, ce fut le « murmure d’une brise légère ». Les signes de la présence de Dieu ne sont pas tonitruants : ils sont semblables à la brise légère d’une parole qui s’adresse au cœur. Elie comprend alors que le vrai Dieu n’est pas celui de la violence. Ce n’est pas en massacrant les infidèles qu’on sauvera l’honneur du vrai Dieu. Plus tard, Jésus nous révèlera un Dieu qui n’est qu’amour et miséricorde. Il ne sait pas être autre chose. C’est en aimant que nous dirons quelque chose du vrai Dieu.
L’apôtre Paul s’était lui aussi trompé sur Dieu. Dans un premier temps, il a violemment persécuté les chrétiens. Lui aussi croyait défendre l’honneur de Dieu. Mais un jour, il a rencontré Jésus sur le chemin de Damas (Ac 9,1-18). Pour lui, cela a été le point de départ d’une véritable conversion. Il rappelle donc aux chrétiens ce qu’ils doivent aux juifs qui leur ont donné Jésus : « C’est de leur race que le Christ est né. Les juifs appartiennent au projet divin » (Rm 9,5). Paul nous fait part ensuite de sa douleur face à l’incrédulité de ses frères de sang. La majorité des juifs suivent les pharisiens : ils ne croient pas en Jésus. Ils n’acceptent pas non plus que le privilège du peuple élu soit étendu à tous les païens qui ont mis leur foi en Jésus. Notre solidarité avec tous les hommes va-t-elle aussi loin que celle des juifs ?
L’évangile qui vient d’être lu fait suite au récit de la multiplication des pains. Jésus vient de nourrir une foule nombreuse. Le soir venu, il se retire sur la montagne pour prier. Il veut échapper à tous ces gens qui cherchent à faire de lui leur roi. Plus tard, il précisera que sa royauté n’est pas de ce monde. Sa mission première est de révéler aux hommes les secrets du Père. Nous pouvons imaginer sa déception et sa lassitude devant tous ces gens qui voient les signes mais sont lents à croire.
Pendant qu’il est sur la montagne en cœur à cœur avec le Père, les disciples sont dans la barque, sur le lac. Ils avancent péniblement vers « l’autre rive ». Cette barque de Pierre est devenue le symbole de l’Église. Les vagues et les vents contraires évoquent le monde et ses problèmes. Quand saint Matthieu écrit son Évangile, il s’adresse à des chrétiens persécutés. C’est encore plus vrai aujourd’hui. En Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs, les chrétiens persécutés sont bien plus nombreux qu’aux premiers siècles. On veut les obliger à renier leur foi et leur imposer une religion qui n’est pas celle du Christ.
Et puis, il y a bien d’autres tempêtes que nous affrontons un jour ou l’autre : celle des événements difficiles et des horizons bouchés, comme celle du Covid 19 qui a causé beaucoup de dégâts, celle de la précarité économique et de la pauvreté. Nous vivons dans un monde qui souffre de la guerre, de la violence et de l’exclusion. Les pauvres y deviennent de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. Si nous voulons rester fidèles à l’Évangile du Christ, il nous faut lutter régulièrement contre ces vents contraires.
Mais voilà qu’en ce jour, nous entendons une bonne nouvelle : l’Évangile nous montre le Christ qui marche sur les eaux. La mer déchainée est le symbole des puissances du mal. Jésus qui marche sur l’eau nous montre que ce mal n’a pas de prise sur lui. Avant même qu’on l’appelle, il s’avance vers les siens. Son empressement à sauver ceux qu’il aime mérite d’être souligné. Notre condition de croyant est toujours, d’une certaine façon, de marcher sur la mer quand Jésus nous appelle à venir à lui. Il est l’Emmanuel, Dieu avec nous. Il nous assure de sa présence « tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Au cours de cette traversée, les disciples ne reconnaissent pas Jésus. Pour le reconnaître, il faut le regard de la foi. En Saint Marc, il leur dira : « Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? » (Mc 4,40). Le plus important, c’est que le Christ vienne à nous, même si nous n’implorons pas sa venue. Quand la tempête fait rage, il se fait proche. Il reste présent même quand nous nous éloignons ou quand nous l’oublions.
En lisant cet Évangile, comment ne pas penser à la Vierge Marie ? Elle en a connu des tempêtes. Dès le début, elle a dû fuir en Égypte pour protéger son enfant. Elle a beaucoup souffert de l’incompréhension de son peuple qui refusait le message de Jésus. Elle a suivi son fils jusqu’au pied de la croix. Aujourd’hui, elle est toujours là pour nous renvoyer au Christ. Comme à Cana, elle nous invite à faire tout ce qu’il nous dira. C’est ainsi qu’elle nous montre le chemin de la sainteté.
Sur le lac, l’orage s’était levé. Les vagues montaient à l’assaut des barques, comme le doute et l’effroi assaillaient le cœur des disciples. Jésus décide de les rejoindre en marchant sur les eaux de la mort. Les disciples sont bouleversés en prenant Jésus pour un fantôme. Apeurés, ils crient. Le Vivant vient et soudain la paix de Dieu survient. Pierre, voulant s’assurer que c’est bien Jésus, saute à l’eau et s’avance sur l’eau. La mort ne lui fait plus peur. Tant qu’il fixe Jésus, il tient debout. Mais s’il se laisse fasciner par la noirceur des événements et prend peur, il perd pied et coule. Il manque de foi.
Quand tout se déchaîne, l’homme a peur. Quand les vents sont contraires, la crainte s’empare de chacun. Quand l’imprévisible frappe aveuglément, quand les bouleversements du monde détruisent la vie et l’être, tous sont effrayés et atterrés. Qu’apporte alors de plus la foi et à quelles transformations devons-nous consentir ? Nous devons consentir à la confiance qui porte un autre regard sur la réalité et qui sait lire les signes des temps ; à la fidélité qui sait déceler la présence de Dieu au-delà de toute détresse ; au courage et à la force d’affronter les vents contraires en espérant contre toute espérance. Cette foi qui affirme simplement : « J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple ».
Avec Marie, nous nous tournons vers le Christ. Quand tout va mal, n’hésitons pas à crier : « Seigneur, sauve-moi ! » (Mt 14,30). Et le Christ est toujours là pour tendre la main à celui qui l’implore avec confiance. Il est toujours disposé à sauver du naufrage celui qui appelle au secours. Mais Jésus doit rassurer ses disciples qui le prennent pour un fantôme ! « N’ayez pas peur » (Mt 14,27) est souvent dit dans la bible lorsque Dieu se manifeste. Quand on fixe son regard sur Jésus, on avance, mais dès qu’on s’arrête aux difficultés, on coule ! Les disciples ne parviennent pas à avoir totalement confiance, mais pour la première fois ils reconnaissent qui est Jésus : le Fils de Dieu (Mt 14,33). Conscients de notre fragilité et de nos faiblesses, nous le supplions : « Je crois, Seigneur, mais augmente ma foi » (Lc 17,5). Notre eucharistie sera le don de sa paix à nous qui faisons face aux tempêtes de nos existences.