B RAMEAUX MARC 14,01 – 15,47 (13)
Chimay : 24.03.2024
Frères et sœurs, le dimanche des Rameaux nous introduit à la Semaine Sainte. Tout au long de ces prochains jours, nous allons revivre l’histoire de notre salut réalisé en Jésus Christ. Nous prendrons l’Évangile dans nos mains, nous en tournerons les pages et nous demeurerons avec Jésus. Nous le suivrons dans ses diverses étapes : le Jeudi Saint, nous célébrerons l’institution de l’Eucharistie et du sacerdoce ; le Vendredi Saint, nous suivrons Jésus jusqu’au pied de la croix. Puis au cours de la veillée pascale, nous célébrerons sa victoire sur la mort et le péché. Avec lui, le mal ne peut avoir le dernier mot. Par sa Passion et par sa croix, le Christ nous ouvre un chemin vers la résurrection et la vie éternelle. C’est en regardant vers la croix que nous comprenons le mieux à quel point le Seigneur nous a aimés et nous aime toujours. Cette croix est là pour nous rappeler qu’il a livré son Corps et versé son Sang pour nous et pour la multitude. Lui-même nous a dit « qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).
Marcher ensemble comme des témoins, suivre le Christ dans sa passion, sa croix et sa résurrection, c’est beaucoup plus qu’un souvenir. Aujourd’hui, nous entrons avec lui dans la Semaine Sainte, la semaine de tous les possibles où la vie l’emporte sur la mort. Avancer en procession comme nous l’avons fait, lentement et tous au même rythme, dit notre appartenance à l’Église, immense assemblée traversant les âges. La procession est le signe de notre espérance commune : notre Église sauvée est aussi en marche vers le retour du Seigneur. Au seuil du mystère pascal, ce dimanche des Rameaux et de la Passion ne nous invite pas à mimer ce que faisait la foule des disciples de Jésus à Jérusalem. Il nous convoque à dire notre foi joyeuse et l’espérance de la Résurrection.
Trahi, offert aux invectives, abandonné, Jésus a subi la violence qui brise, torture et tue, partageant ainsi la souffrance de toute femme battue, de tout homme torturé, de tout enfant bafoué, de tout vieillard abandonné. C’est en donnant ainsi sa vie, en partageant le sort des plus abandonnés, alors qu’il est méconnaissable, défiguré, que Jésus est reconnu comme Fils de Dieu. Le centurion ne peut résister sans doute à la puissance folle du don. L’évidence le saisit par-delà la raison. « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! » (Mc 15,39). Nous avons à nouveau à écouter la claire profession de foi, exprimée par le centurion, C’est de ce qu’il a vu, que naît le surprenant témoignage du soldat romain, le premier à proclamer que cet homme crucifié « était Fils de Dieu ».
Malheureusement, cette grande semaine passe de plus en plus inaperçue. Il nous manque ce cœur de pauvres qui nous rendrait plus ouverts à Dieu. Car en regardant vers la croix et la passion du Christ, nous prendrions un peu plus conscience de l’immense amour de Dieu pour nous. Dieu qui attend de nous une réponse qui soit digne du don qu’il nous fait. Il ne tient qu’à nous de remettre Dieu au centre de notre vie et d’en témoigner autour de nous, ne serait-ce qu’en priant les psaumes.
Génération après génération, les psaumes mettent à la disposition de ceux qui les prient de quoi imaginer une vie différente. Le psaume 21, médité au dimanche des Rameaux, a pu aider Jésus dans les dernières heures de sa vie d’homme. Il est une porte ouverte sur l’intériorité d’un homme en souffrance. On lui en veut, on ricane à son sujet, on l’humilie. La dimension impersonnelle des assaillants, qui s’en prennent autant à sa personnalité qu’à son physique ou à ses biens, renforce le malaise. Ces assaillants, cela pourrait être n’importe qui et tout le monde. On ne sait pas ce qui les motive, ni de quelle haine ils sont porteurs. Ils tournent en dérision la confiance en Dieu de celui auquel ils s’attaquent. Leur violence est renforcée par ceux qui ne font que regarder.
Alors l’homme en souffrance appelle. Il crie vers son ami, vers Dieu son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Ps 21,2). Entre ces deux-là, on ne sait pas ce qui se passe, comment l’ami répond et le rejoint. Le psaume est pudique, discret, comme il convient quand deux amis se rencontrent et doivent partager sur des choses importantes pour l’un ou l’autre. Et le psaume se conclut sur une invitation à la louange : « Tu m’as répondu ! Je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le Seigneur » (Ps 21,31-32).
Ce psaume a sans aucun doute, il a aidé ses disciples à survivre et à donner du sens à sa mort et aux circonstances de sa mort. Et nous, que faisons-nous de cette situation sordide dans laquelle un homme appelle Dieu parce qu’il est le seul à pouvoir l’entendre ? Cette fenêtre est comme un miroir pour nous regarder vivre dans les moments compliqués de notre vie. Il nous apprend à ne pas nous raconter d’histoire sur notre existence : la réalité est ce qu’elle est, aussi dure soit-elle. Ne pas se mentir sur ce que l’on ressent est la première condition pour appeler Dieu, pour qu’il fasse cesser les menaces et nous sorte de l’impasse. Et si tout cela n’est pas possible, qu’il restaure au moins l’image que nous avons de nous et que nos agresseurs détruisent. « Délivre-moi de mes ennemis, mon Dieu ; de mes agresseurs, protège-moi » (Ps 58,2).
Cette croix nous invite également à changer notre regard sur le monde. Nous vivons dans une société qui accuse, qui dénonce et qui condamne. Nous oublions que si le Christ a livré son Corps et versé son Sang, c’est aussi pour ceux et celles que nous avons tendance à mépriser ou à condamner. Toutes ces violences sont un affront à celui qui a donné sa vie pour eux.
Avec Jésus, nous pouvons choisir d’aimer. Avec lui, nous pouvons nous émouvoir des drames qui accablent les plus pauvres et les plus fragiles. Tout ce que nous aurons fait pour eux, « c’est à lui que nous l’aurons fait » (Mt 25,40).
L’amour a ce pouvoir de transformation qui peut réveiller en chacun le juste et convertir son regard. L’œuvre de salut du Christ réintègre tous les oubliés du monde dans une histoire qui est la leur : celle de Dieu avec nous, qui ne cesse de venir humblement dans nos vies, de se donner comme pain, comme toit, comme soin.
Seigneur, donne-nous force et courage pour te suivre tout au long de cette semaine Sainte. « Si nous mourons avec toi, avec toi nous vivrons. Si nous souffrons avec toi, avec toi, nous règnerons » (2Tm 2,11). Au-delà de ton calvaire, tu nous donnes rendez-vous ; dans la gloire de ton Père, ô Jésus ressuscité, accueille-nous. Amen.