C PÂQUES 06 JEAN 14, 23-29 (16)
Chimay : 25.05.2025
Frères et sœurs, avant les derniers jours qui le mèneront à sa mort, Jésus prolonge le discours de son testament spirituel. Après avoir célébré la Cène et donné aux disciples son commandement nouveau, celui de l’amour et du service mutuels, Il rassure ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé » (Jn 14,27). Il ose même leur demander d’être « dans la joie » au moment où il partira « vers le Père » (Jn 14,28). Sa perspective n’est toutefois pas axée sur les derniers temps, mais bien sur l’attitude que les Apôtres et leurs disciples devront garder lorsqu’il ne sera plus physiquement avec eux. Il leur suffira d’aimer et de « garder sa parole » (Jn 14,23). S’ils sont fidèles à ces deux conseils, ils seront non seulement « habités » par la présence du Père et du Fils, mais aussi défendus et instruits par l’Esprit Saint.
Ces paroles testamentaires devraient nous étonner. Le moment est crucial. La nuit tombera bientôt sur des disciples qui seront confrontés à la mort de leur maître et à la tentation de l’échec. Or, dans ce moment de fragilité, Jésus ne demande pas aux disciples de se protéger ou de se replier sur eux-mêmes en se crispant sur l’enseignement donné. Il les ouvre au contraire vers plus que lui-même. Il les invite à poursuivre leur chemin spirituel pour se rapprocher d’un Dieu encore inconnu, voire non saisi. Il leur assure que l’Esprit de Dieu pourra encore les faire cheminer, progresser, comprendre ce qui n’est encore pour eux qu’une intuition.
C’est un peu comme si Jésus était un parent qui fait part de ses dernières volontés à ses enfants avant de mourir : il leur recommande surtout de bien s’entendre entre eux. Pour eux, la vie sera toute autre. Mais ils ne resteront pas seuls, livrés à eux-mêmes. Il leur promet le don de l’Esprit Saint. Avec lui, ce sera le début d’une nouvelle mission qu’ils rempliront au nom même de Jésus. Il ravivera sans cesse en leur cœur l’enseignement du Christ. Il les aidera à le traduire en amour effectif et concret de leurs frères. Jésus laisse également « la paix » à ses amis. Elle est le gage de sa présence avec eux. « La paix soit avec vous ! » (Lc 24,36) sera son souhait pascal, comme il a été le souhait des premières paroles du Pape Léon.
Mais pour bénéficier de ces dons, il y a des conditions à remplir. Ce n’est pas Dieu qui met des restrictions ; bien au contraire il ne demande qu’à nous combler. Mais trop souvent le problème vient de nous. Nous ne sommes pas toujours disponibles pour accueillir et garder « sa parole ». Chacun de nous peut se poser ces questions : avons-nous le cœur largement ouvert pour que le Père et lui viennent y faire une demeure ? Il nous arrive parfois de nous plaindre du silence de Dieu : est-ce que ça ne viendrait pas de notre absence d’écoute ? Le Seigneur est bien présent, mais trop souvent, c’est nous qui sommes ailleurs.
L’Évangile nous parle d’une deuxième condition requise de notre part : « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie » (Jn 14,28). La question nous est posée par Jésus lui-même : « M’aimes-tu suffisamment pour être envahi de ma joie ? » Le pape François nous le disait à sa manière : « Il y a des chrétiens qui semblent avoir un air de Carême sans Pâques » (Evangelii Gaudium 6). La joie devrait toujours être la caractéristique du chrétien.
Le livre des Actes des apôtres, nous montre que cela n’a pas été facile dans la première communauté chrétienne : des craquements se sont fait entendre. De nombreux étrangers venaient frapper à la porte de cette communauté. Fallait-il leur imposer les traditions juives ? Cette question a été réfléchie lors du premier concile de Jérusalem. Il était hors de question d’imposer une Église fermée sur elle-même en obligeant les nouveaux venus à suivre des traditions qui ne sont pas les leurs. L’Église doit être ouverte au monde et aux nouveaux convertis. Ces derniers n’ont pas besoin de se dépouiller de leur originalité culturelle. Les différences sont une source d’enrichissement. Cette attitude fonde la conception de la tradition propre à l’Église. La tradition n’est pas un trésor à garder sous surveillance. Elle est d’abord cette confiance en un Dieu qui continue à enseigner et à faire grandir son peuple au-delà d’un héritage visible reçu.
Or il se trouve des esprits chagrins qui estiment que l’ouverture au monde est un abandon de la foi. Ils pensent que la pluralité des cultures est une entorse à l’unité. Conduits par l’Esprit Saint, les responsables de l’Église primitive n’en ont pas jugé ainsi. La mission de l’Église n’est pas de sauver des traditions mais de travailler avec le Christ qui veut sauver le monde. C’est pour tous qu’il a livré son Corps et versé son Sang en rémission des péchés.
« L’Église est un peuple de pécheurs pardonnés, qui a toujours besoin de miséricorde et qui, pour cette raison, doit être vacciné contre tout complexe de supériorité, en tant que disciples d’un Dieu qui a choisi la voie de la faiblesse et s’est abaissé en acceptant de mourir sur la croix pour nous sauver. Nous sommes appelés à offrir l’amour de Dieu à tous, a dit le Pape Léon, pour être dans la pâte du monde un petit levain d’unité, de communion, de fraternité et porter ainsi notre regard au loin, à la rencontre des questions, des angoisses et des défis d’aujourd’hui ».
C’est aussi ce message que nous adresse saint Jean dans l’Apocalypse. Cette « nouvelle Jérusalem » qu’il nous présente, c’est le Peuple saint. Dieu y habite comme dans un temple. Le Christ y demeure parmi les siens. C’est un peuple ouvert aux quatre points de l’horizon. Il ne doit jamais perdre de vue sa perspective universelle. N’oublions pas que “catholique” signifie “universel” ; le dernier mot de l’aventure humaine sera l’entrée dans le Royaume de Dieu autour du Christ ressuscité. C’est cette bonne nouvelle que saint Jean adresse aux chrétiens persécutés de son temps et à ceux d’aujourd’hui.
Notre mission à nous, c’est d’être les messagers de la paix et de la joie du Christ. Il faut que cela se voie dans notre vie. Si nous voulons être fidèles à l’Évangile, il nous faut rejeter le poison de la médisance, les paroles blessantes qui font du mal, les gestes malhonnêtes, tout ce qui blesse la charité. Nous sommes dans l’année jubilaire, une année de miséricorde. À travers notre vie, nos paroles et nos actes nous disons quelque chose de la miséricorde de Dieu. C’est avec nous, avec nos pauvres moyens que Dieu veut construire une Église plus missionnaire et plus engagée au service des autres. Seul l’amour nous sauvera a écrit le pape François alors qu’il était encore le cardinal Bergoglio[1].
Demandons l’aide de l’Eprit Saint, notre défenseur, pour nous ouvrir pleinement à Dieu qui n’attend que de venir nous manifester son amour. Et si notre cœur nous condamne, rappelons-nous que « Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jn 3,20). L’esprit Saint est là, demeurant en nous, pour nous le rappeler.
[1] « Seul l’amour nous sauvera » Jorge Bergoglio / Pape François (Editions Parole et Silence). En librairie le 5 avril 2013.