Deuxième dimanche de Pâques – année B
Scourmont 11 avril 2021
Ac 4, 32-35 – Ps 117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24 –
1 Jn 5, 1-6 – Jn 20, 19-31
Les croyants, vainqueurs du monde, peuvent vivre en commun
« Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Et qu’a vu saint Thomas ? – Les signes de la Passion sur le corps de Jésus. En un temps troublé comme le nôtre, il est important, nécessaire même, de nous appuyer sur les réalités fondamentales. Et quoi de plus fondamental que la foi ? « Heureux ceux qui croient. » Les trois lectures de ce dimanche en parlent. C’est à nous aussi que Jésus dit aujourd’hui : « Cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Les signes de la Passion sont innombrables dans notre monde, à commencer par les ravages de la pandémie. Ils peuvent nous éloigner de Jésus, si nous n’y voyons que des atteintes à la nature humaine, au désir de bonheur inscrit dans le cœur de toute personne. Où est Jésus dans toute cette histoire ? Mais, ne voyons-nous pas que c’est lui qui porte toutes ces souffrances ? Son corps ressuscité en est entièrement marqué. Il a traversé notre existence humaine, emportant dans son tombeau tout ce qui mène à la mort pour que la Vie anéantisse déjà toutes les puissances de mort. Ressuscité, Jésus en reste marqué, mais c’est la Vie qui triomphe. Telle est notre foi.
Et nous, par le baptême, nous avons été mis au tombeau avec le Christ pour ressusciter dès maintenant avec lui. Nous sommes marqués certes par les souffrances, mais ces souffrances sont déjà vaincues par la Vie qui nous est donnée, en particulier dans cette Eucharistie. Ceci est le fondement de notre vie chrétienne.
Et c’est ce qui nous réunit. « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme. » Qu’est-ce qui rassemble les chrétiens ? Qu’est-ce qui fait leur unité ? C’est d’abord et avant tout leur foi, leur foi en Jésus ressuscité. « Une grâce abondante reposait sur eux tous », et c’est avec cette force venue d’en haut que les premiers chrétiens vendaient leurs biens et mettaient tout en commun. Ce n’est pas par je ne sais quelle idéologie, par quel désir altruiste, par quelle croyance qu’ils faisaient ce geste en engageant toute leur existence ; c’est parce qu’ils croyaient en Jésus ressuscité qui les habitait.
Car la foi engendre l’amour. La Première Lettre de saint Jean en détaille le processus. « Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu. » La foi en Jésus fait de nous ses frères, les fils du même Père que lui, un Père que nous devons aimer, comme nous aimons son Fils, le Christ, notre frère : « celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. » Nous le savons bien : par la foi, sanctionnée, authentifiée, renforcée par le baptême, nous entrons en communion avec les personnes de la sainte Trinité ; nous sommes de la Famille de Dieu, en tant que fils et filles de Dieu.
Et alors, comment saurons-nous que nous aimons les autres, ceux qui sont enfants de Dieu ? « Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. » Remarquons le paradoxe apparent. Souvent nous pensons que, pour un chrétien, le signe qu’il aime Dieu, c’est qu’il aime les autres, qu’il fait du bien à son prochain, qu’il s’engage pour le bien de ses frères en humanité. Eh bien, saint Jean affirme le contraire : le signe que nous aimons nos frères et sœurs en humanité, c’est que nous aimons Dieu, car le véritable amour du prochain ne peut que s’enraciner dans l’amour de Dieu.
Mais comment savoir que nous aimons Dieu ? – Si nous accomplissons ses commandements, « car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements. » Et évidemment, le grand commandement, c’est l’amour du prochain. Nous avons donc comme une boucle – le signe que j’aime mon prochain, c’est que j’aime Dieu, et la preuve que j’aime Dieu, c’est que j’aime mon prochain –, mais cette boucle contient un élément non rationnel qui l’empêche de tourner en rond : la foi, qui m’introduit réellement dans la vie de Dieu. Non seulement ma vie chrétienne est marquée par la foi, mais elle dépend de la foi.
Et c’est bien ce que vivaient les premiers chrétiens selon ce que le livre des Actes évoque de leur vie commune, qui est comme l’archétype de toute vie communautaire dans l’Église. Ce sont uniquement des croyants qui se réunissent. Leur vie commune est la manifestation de la foi qui les anime. C’est la foi qui puise en Dieu le véritable amour, qui est le ciment de leur unité. Développer, approfondir, nourrir la foi, c’est développer, approfondir, nourrir la vie commune. Édifier, renforcer, développer une vie communautaire, c’est d’abord s’appuyer sur la foi et tout ce qu’elle implique : la prière – personnelle et communautaire –, et, plus généralement, une vie spirituelle enracinée dans la lectio divina. Ce n’est pas pour rien que saint Benoît consacre les sept premiers chapitres de sa règle à établir les fondements de la vie spirituelle du moine, dont la progression se mesure sur l’échelle de l’humilité. Et souvenons-nous qu’elle aboutit à la charité : « Quand le moine aura gravi ces degrés d’humilité, il parviendra bientôt à cette charité de Dieu, qui, parfaite, met dehors la crainte » (RB 7, 63). Ensuite seulement, à partir du chapitre 63, Benoît organise la structure de la communauté.
Et, si la foi est la base de la vie commune, c’est elle aussi qui nous donne de vaincre le monde : « Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » Ce monde, qui nous est souvent hostile, le monde qui est autour de nous, mais aussi celui qui est en nous, seule la foi peut le vaincre, car c’est par la foi que la force de Dieu, la grâce, peut agir en nous et pour nous. Certes, le combat contre le monde pourra nous conduire jusqu’à la mort, comme Jésus, mais nous savons que si nous mourons avec lui, si nous livrons le même combat qu’il a mené contre les forces hostiles à Dieu, hostiles au Dieu-amour, alors, même si nous devons passer trois jours au tombeau avec lui, nous savons que nous serons vainqueurs, que nous ressusciterons avec lui.
La foi, manifestée dans l’amour, nous fait vaincre le monde, celui qui nous entoure et celui qui nous habite. Et alors, si ce monde-là est vaincu, nous pourrons vivre ensemble une véritable communion fraternelle
« Dieu de miséricorde infinie, tu ranimes notre foi par ces célébrations pascales. Que le mystère de la mort et résurrection de ton Fils, actualisé dans cette communion, ne cesse jamais d’agir et de produire des fruits en nous tous qui sommes rassemblés en ton Nom. »