Messe du jour de Noël

année C

Scourmont, 25 décembre 2021

Is 52, 7-10 - Ps 97

He 1, 1-6 - Jn 1, 1-18

Dieu et l’homme

« Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. » Aujourd’hui, nous fêtons Dieu qui devient homme dans la deuxième personne de la sainte Trinité, le Verbe qui prend la nature humaine pour devenir homme comme nous. Il a habité parmi nous, il s’est uni à nous, pour que nous soyons unis à lui. Désormais et plus que jamais, le mystère de Dieu et celui de l’homme sont liés. La fête de Noël, c’est la fête du Jésus de Bethléem, qui naît dans la pauvreté et l’humilité, mais c’est d’abord la fête de Dieu qui vient sauver l’humanité, selon la parole de saint Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. »

 

Après des siècles de préparation, Dieu a pris un moyen radical pour nous sauver : non plus seulement envoyer des prophètes proclamer la Bonne Nouvelle et appeler à la conversion, mais se déplacer lui-même – si vous permettez l’expression –, se mettre lui-même dans la situation de l’homme à racheter pour l’entraîner avec lui dans la gloire du Père. Désormais, l’homme n’est plus seul pour affronter son état de pécheur ; Jésus s’est uni à lui pour le tirer de sa situation de misère. Désormais, chaque personne humaine n’est plus seulement un Je individuel et isolé ; elle est Nous, puisque Dieu habite en elle, comme Jésus l’a dit aux disciples après la sainte Cène : « Je suis dans mon Père, et vous, vous êtes en moi et moi en vous » (Jn 14, 20). Ou encore : « Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous » (Jn 17, 21). Noël, c’est le mystère de l’union, de la communion de chacun de nous avec Dieu.

Il y a quelques jours, je lisais dans une revue : « Les Je [les personnes individuelles] ne peuvent exister que parce qu’il y a un Nous. Un Nous qui se partage certes dans des groupes restreints […] Mais aussi, sinon surtout, un Nous qui est celui de la société globale dans laquelle nous vivons. Un Nous social qui est bien plus qu’une addition de Je individuels. Il les transcende […] Notre Je n’existe qu’à cause du Nous social » (Frédéric Antoine, Édito, L’Appel, n° 443 [janvier 2022], p. 2). Ces propos m’ont interpellé et fait réfléchir. Est-ce qu’on peut passer ainsi, tout simplement, d’un ensemble de Je individuels à un Nous collectif ? Lorsqu’on affirme que le Nous social transcende les Je individuels, sur quoi s’appuie-t-on ? Qu’est-ce qui rassemble les Je individuels en un Nous social ?

C’est la fête d’aujourd’hui qui peut apporter une réponse, la seule vraie réponse, me semble-t-il. Les Je individuels peuvent devenir un Nous collectif à condition que chacun forme d’abord un Nous avec celui qui l’a créé et l’a racheté. Une somme de Je individuels ne fera jamais un Nous collectif ; il faut un lien pour que l’unité se crée. Comme chrétiens, nous croyons que ce lien d’unité existe ; il a un nom : c’est l’Esprit d’unité. De même que, dans la sainte Trinité, l’Esprit est la communion entre le Père et le Fils, de même l’Esprit, que le chrétien reçoit au baptême et dans les autres sacrements, crée l’unité du chrétien avec Dieu en en faisant un fils dans le Fils unique. Alors, en devenant fils, le chrétien devient frère de tous ceux qui sont fils comme lui dans le même Fils unique. Et tous ensemble, ils constituent un authentique Nous social. Et c’est l’Église, Corps du Christ, Temple de l’Esprit. Comme le dit le concile Vatican II : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte, le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’unité intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium, 1).

Ce que l’Église est au plan universel, les chrétiens sont appelés à le vivre dans tous les types de communautés qu’ils peuvent former : communautés de laïcs, communautés monastiques, paroisses, mouvements divers, etc. L’unité que nous cherchons à créer entre nous comme chrétiens ne peut être qu’un fruit de l’Esprit. Cela implique que ce fruit ne peut être que reçu – on ne peut se l’approprier –, et que, pour nous préparer à le recevoir, nous devons implorer la grâce de l’Esprit saint. Le Nous social que nous voulons promouvoir à partir de nos Je individuels ne sera possible que s’il est généré par un Nous humano-divin, mystique. Sinon, malgré tous nos efforts, tout finira par s’effondrer.

Et nous sommes le jour de Noël, le jour où notre Dieu manifeste dans un corps qu’il s’est uni à l’humanité pour la sauver. Le corps de cet enfant nous dit le concret de l’Incarnation, le concret de toute vie humaine. Mais, en même temps, comme Marie, Joseph, les bergers, nous adorons cet enfant, car le mystère de cet être charnel dépasse infiniment ce qui se voit. Et il en est peut-être ainsi de toute réalité chrétienne collective. Nous le savons bien pour l’Église, faite de pécheurs et sainte dans son essence. Mais cela vaut aussi pour tout type de communautés chrétiennes : faites d’un « corps de péché », tellement visible et parfois choquant, elles sont bien plus que cela à des yeux spirituels : elles sont, chacune à sa manière, le corps du Christ et le Temple de l’Esprit. Jésus est venu habiter notre corps de chair pour en faire une habitation de l’Esprit.

Faisons encore nôtre cette prière entendue au début de la messe : « Père, fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité. »