Troisième dimanche de Pâques
année C
Scourmont, 1er mai 2022
Ac 5, 27b-32.40b-41 ;
Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13 ;
Ap 5, 11-14 ; Jn 21, 1-19
Amour, obéissance et Esprit saint
1. L’amour pour Jésus
Les récits des évangiles après la résurrection de Jésus ont surtout pour but de montrer comment est née la foi des disciples dans le Christ ressuscité. On les entend confesser : « C’est le Seigneur ! » L’évangile de ce dimanche montre bien comment Jésus ressuscité se fait reconnaître par les siens pour susciter en eux la foi en sa résurrection, mais il nous dit aussi autre chose sur la relation de Jésus avec ses apôtres. Le dialogue de Jésus avec Pierre après cette pêche miraculeuse est unique dans le Nouveau Testament. Il porte sur l’amour : « Pierre, m’aimes-tu ? » – « Tu sais que je t’aime. »
Dans ce dialogue entre Jésus et Pierre, la réponse de Pierre utilise toujours, pour dire son amour, le verbe philein, qui exprime un amour avec les sentiments, proche de l’amitié. Jésus, lui, pour les deux premières questions, utilise le verbe agapein, de même racine que agapè, que l’on traduit habituellement par charité. Ce terme exprime une réalité que nous pourrions qualifier de plus spirituelle, surnaturelle, au-delà ou en dehors des sensations. C’est ce mot que l’on utilise pour parler généralement de l’amour de Dieu. Et puis, à la troisième question, Jésus emploie, comme Pierre, le mot philein. Que déduire de ce vocabulaire ? Jésus commence par demander à Pierre s’il l’aime comme on aime Dieu ; Pierre lui répond qu’il aime comme on aime un homme, avec des sentiments humains, ce qui d’ailleurs est loin d’être négligeable. Et puis, dans la troisième demande, c’est comme si Jésus se rapprochait de la position de Pierre, en employant le même verbe que lui, pour lui demander s’il lui est vraiment attaché. Pierre, par sa réponse, manifeste qu’il est profondément lié à l’homme Jésus, de manière toute particulière, car il sent bien qu’il est plus qu’un homme, puisqu’il connaît tous ses sentiments profonds : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
Et le dialogue se conclut par un « Suis-moi » de Jésus. On trouve généralement ce « Suis-moi » lors de la première rencontre entre Jésus et un futur apôtre. Or, nous sommes ici à la fin de l’évangile. Au début, selon saint Jean, Simon avait été amené à Jésus par son frère André, et Jésus lui avait donné le nom de Pierre. Plusieurs années ont passé, riches en événements multiples dans la vie publique de Jésus. Elles se sont terminées par la passion, la mort et la résurrection du Seigneur. Et maintenant, après tout ce qu’a vécu Pierre, Jésus l’invite à un nouveau départ. Et d’ailleurs, il ne l’appelle pas « Pierre », mais « Simon », comme au début : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » C’est une nouvelle vie qui commence pour Pierre, et Jésus veut s’assurer qu’ils sont bien liés tous les deux ensemble par une forte relation d’amour – et j’aurais envie de dire, pas seulement par la foi. Il lui annonce qu’il devra participer personnellement à sa passion ; « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Et alors, maintenant que Pierre est bien informé et conscient de tout, Jésus l’invite à le suivre. L’amour entre à plein dans l’engagement du disciple : Pierre va suivre désormais Jésus, non pas seulement parce qu’il l’a reconnu comme le Messie annoncé par les Prophètes, mais surtout parce qu’il l’aime, parce qu’ils s’aiment tous les deux. Leur relation est désormais si forte, si stable, que Pierre pourra affronter toutes les épreuves qui l’attendent, dans sa marche à la suite de Jésus.
2. L’obéissance fruit de l’amour
C’est l’amour qui donne l’énergie nécessaire pour rester attaché à Dieu. Lorsque, dans les Actes des Apôtres, le même Pierre comparaît, avec d’autres Apôtres, devant le conseil suprême et que le grand prêtre leur reproche de prêcher au nom de Jésus, il ne peut que répondre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Pierre, lié d’amour avec Jésus, vit désormais dans l’obéissance à Dieu. « Il faut obéir » : l’expression peut nous surprendre. Comment placer l’obligation de l’obéissance dans le cadre d’une relation d’amour ? Spontanément, nous penserions que la relation d’obéissance précède l’amour, ou même qu’elle ne peut se trouver que dans un autre contexte. Mais non, c’est bien parce que Pierre est lié d’amour avec Jésus, qu’il ne peut que lui obéir.
L’obéissance tient une grande place dans la vie monastique, mais il n’est pas sûr que nous la concevions ainsi. Est-ce qu’il ne nous arriverait pas parfois de penser, au contraire, que l’amour pourrait nous libérer des contraintes de l’obéissance ? Si l’amour m’habite tout entier, que viendrait faire l’obéissance dans ma vie ? Je n’ai plus à obéir : je suis libre ! Mais tel n’est pas l’enseignement de l’Écriture : si j’aime Dieu, je ne peux que lui obéir, et lui manifester ainsi mon amour. Et nous savons que l’authentique volonté de Dieu peut se manifester de bien des manières dans notre vie de chaque jour. L’obéissance est vraiment un fruit de l’amour.
3. Esprit saint et vie chrétienne
Je dois obéir à Dieu et je dois faire ce qu’il commande. Si je me mets dans cette attitude, alors je ne serai pas seul pour agir, car « Dieu donne l’Esprit saint à ceux qui lui obéissent », selon les mots de saint Pierre dans le même récit des Actes. Certes, l’Esprit saint nous est donné dès le baptême, et ce don est renouvelé dans chaque sacrement, mais l’Esprit ne peut rien faire seulement par lui-même dans une âme, sans la collaboration humaine. Et si l’âme n’obéit pas à Dieu, c’est comme si elle n’avait pas l’Esprit saint. D’où le mot de saint Pierre : « Dieu donne l’Esprit saint à ceux qui lui obéissent. »
Alors, si nous obéissons à Dieu et si nous avons l’Esprit saint, nous n’avons rien à craindre des épreuves de cette vie. Comme Simon, fils de Jean, comme Pierre, nous pouvons être assurés d’être fidèles jusqu’au bout, et de pouvoir chanter avec toutes les créatures du ciel et de la terre : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Il nous a donné l’amour et l’Esprit saint. Rendons-lui gloire à jamais par notre vie !