29 mars 2020 -- 5ème dimanche de Carême "A"

Ezéchiel, 37, 12-14 ; Rom 8, 8-11 ; Jean 11, 1-45

 

Résurrection de Lazare (Jean 11,1-45)

          On peut facilement distinguer deux niveaux rédactionnels dans ce passage de l'Évangile de Jean.  La narration primitive était un récit de la résurrection de Lazare, le plus grand des miracles accomplis par Jésus.  Quand Jean décida d'insérer ce récit au moment crucial de la vie de Jésus, c'est-à-dire à la fin de son ministère et au début de sa passion, il le transforma.  Ce qui est maintenant au centre du récit, ce n'est plus le miracle lui-même, mais plutôt le dialogue de Jésus avec Marthe.

Au coeur de ce dialogue se trouve la parole révélatrice de Jésus:  "Je suis la résurrection et la vie", et aussi la réponse de Marthe (v.27): "Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui doit venir dans le monde."

Ce texte nous aide à comprendre la grande richesse et toute la diversité de l'expérience spirituelle de l'Église primitive.  Chacune des communautés chrétiennes locales avait son mode propre de vivre et de re-vivre son expérience du Christ.  Dans les Églises de la tradition de Matthieu, la mémoire du ministère de Jésus est centrée sur la relation de Jésus avec le groupe de ses disciples, spécialement les douze apôtres.  Mais cette mémoire, dans l'Évangile de Jean, est centrée sur la relation de Jésus avec un certain nombre d'amis, spécialement Marthe, Marie et Lazare.  Ils sont ses vrais disciples, et il est leur maître.  Marthe est la première mentionnée.  C'est elle qui, après avoir reçu la révélation et avoir exprimé sa foi dans la parole de Jésus, va chercher Marie, exactement comme André et Philippe étaient allés chercher Pierre et Nathanaël.  En tant que "disciple" très aimée de Jésus, c'est elle qui exprime, au nom de tous, la foi messianique de la communauté.  Marthe confesse sa foi messianique, non pas en réponse à un miracle, mais en réponse à la révélation de Jésus et à son interpellation:  "Crois-tu cela?"  La confession de foi de Marthe dans l'Évangile de Jean est parallèle à celle de Pierre (6, 66-71), mais c'est une confession christologique dans un sens plus plénier.  Jésus est le révélateur venu du ciel.  Comme telle, la confession de Marthe a le sens plénier de celle de Pierre à Césarée de Philippe dans les Évangiles synoptiques.  Ainsi, Marthe représente la foi apostolique plénière de la communauté de Jean, comme Pierre représente la foi apostolique plénière de la communauté de Matthieu.

Si nous voulons appliquer ce texte à notre propre situation, nous devons être à la fois Marthe qui confesse le Christ et Lazare qui est ressuscité.  Au sujet de cette résurrection, nous devons porter attention au fait que Jean n'essaie pas de nous donner quelque information sur l'expérience de Lazare, soit lorsqu'il était mort, soit après son retour à la vie... L'unique chose qui importe est qu'il soit revenu à la vie.

Le texte d'Ézéchiel peut nous aider à appliquer ce récit à notre existence:  "Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez de nouveau..."  Nous faisons l'expérience de la mort de plusieurs façons au cours de notre existence.  La façon dont Lazare sort du tombeau en est une expression symbolique:  "les mains et les pieds liés de bandes et le visage couvert d'un suaire".  Et que dit Jésus:  "Déliez-le et laissez-le aller".

Il y a un beau poème du poète anglais C.S. Lewis qui a comme titre: "Till we have faces" -- "Jusqu'à ce que nous ayons un visage"... C'est-à-dire, jusqu'à ce que nous ayons un visage, nous ne pouvons entrer en relation avec Dieu... ou avec les autres.  Peut-être avons-nous perdu jusqu'à un certain point le sens de notre identité, de qui nous sommes, de qui nous sommes appelés à être... Notre visage est couvert d'un suaire.  C'est une forme de mort.  Ce suaire peut être le masque que nous nous sommes fait pour nous protéger des autres, ou pour nous montrer autre que ce que nous sommes.  Peut-être est-ce le masque de nos ambitions... Tant de formes de mort...  Peut-être encore avons-nous commencé notre vie monastique pleins d'idéal et de générosité, puis nous avons perdu nos illusions et nous sommes déçus.  Alors nos pieds et nos mains sont comme liés par des bandes... Il nous faut alors entendre la voix de Jésus nous dire: "Je suis la résurrection et la vie".

Trouvons dans ce beau texte symbolique non seulement le courage de vivre en plénitude la vie qui nous est offerte, mais aussi la joie d'entendre le Seigneur dire aussi à notre sujet: "Déliez-le et laissez-le aller".

Armand Veilleux