27 août 2023 – 21ème dimanche ordinaire « A »
Isaïe 22, 19-23 ; Romains 11, 33-36 ; Matthieu 16, 13-20
H O M É L I E
Le texte du prophète Isaïe que nous avions comme première lecture n’a pas été choisi au hasard. Il nous aide à comprendre la question de Jésus à ses disciples. Ce texte fut très probablement rédigé à une époque antérieure à la première déportation de la population de Jérusalem.
Au début du 6ème siècle avant le Christ, l’empire babylonien prétendait soumettre à son autorité tous les petits royaumes et contrôler toutes les tribus dispersées dans ce qu’on appelle le « Croissant fertile ». Jérusalem était simplement une forteresse de plus à soumettre. Face à une tentative de rébellion, l’empire babylonien exila en 597 a.c. tous les membres les plus importants de la société en diverses villes de la Mésopotamie. Ce fut un dur coup pour la famille royale qui se considérait inamovible. La prophétie d’Isaïe est adressée à toute la classe dirigeante qui s’attribuait l’importance et l’honneur d’appartenir au roi, et avait transformé les clés du palais en symbole de son pouvoir croissant. Le prophète Isaïe annonce que ces clés passeront à un autre, et que tout ce système fondé sur l’exploitation du peuple s’écroulera.
À l’époque de Jésus, tout le peuple juif attendait un Messie qui rétablirait le royaume politique de David et son autorité sur les autres peuples. Jésus refuse de répondre à cette aspiration. Sa mission est autre. C’est pourquoi, au milieu de sa montée vers Jérusalem, alors qu’il a déjà assez longtemps travaillé à la formation de ses disciples, il les amène un jour en dehors du territoire juif, dans la région de Césarée, cette ville que Philippe avait construite en l’honneur de l’empereur Auguste. Et c’est là, en dehors d’Israël, qu’il leur demande ce que les gens disent du « Fils de l’Homme », c’est-à-dire de Lui. Mais ce qui l’intéresse vraiment est d’avoir la réponse de ses disciples : « Et vous, que dites-vous que je suis ? ».
La question est posée à tous les disciples et c’est au nom de tous que Pierre répond. Dans le même récit, qu’on trouve aussi dans les Évangiles de Marc et de Luc, la réponse de Pierre est « Tu es le Messie » ou « le Messie de Dieu ». Dans l’Évangile de Matthieu la réponse est plus élaborée : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Le « Fils de l’Homme » est donc le « Fils de Dieu ». C’est le « Dieu parmi nous », l’« Emmanuel » selon le titre donné à Jésus dès le début de l’Évangile de Matthieu. Et la mention du « Dieu vivant » oppose aux idoles sans vie le Dieu vivant qui donne la vie et qui vaincra de la mort.
Comme Pierre a répondu au nom de tous les disciples, c’est à eux tous que Jésus répond lorsqu’il s’adresse lui-même à Pierre. La profession de foi qu’il a exprimée, est le roc sur lequel Jésus bâtira son Église dont Pierre lui-même est membre. Il faut noter que dans le texte grec, le mot « pierre » est rendu par deux termes différents qui ne sont pas synonymes. Petros (dans tu es « Pierre ») désigne une pierre qu’on peut bouger et même lancer. Mais petra (dans « sur cette pierre ») signifie un roc solide et inamovible. Ce roc sur lequel Jésus bâtira son Église, ce n’est pas la personne de Pierre, mais sa profession de foi, faite au nom de tous les disciples. Jésus utilise de même deux images pour désigner son Église. D’abord celle de la maison construite sur le roc et contre laquelle le pouvoir de la mort n’aura pas de force et celle des clés, c’est-à-dire le pouvoir donné à la communauté d’admettre en son sein les hommes qui cherchent le salut et d’en exclure ceux qui le refusent. Il ne faut pas voir dans ces « clés » un pouvoir personnel de Pierre sur l’Église, mais bien un pouvoir de l’Église représentée par Pierre. Le premier Concile du Vatican l’avait bien compris lorsqu’il ne définit pas l’infaillibilité pontificale comme une prérogative individuelle mais dit que le Pape, lorsqu’il parle ex cathedra, exerce « l’infaillibilité que le Christ a donnée à son Église ».
Et quand Jésus ordonne à ses disciples de ne dire à personne qu’il est le Messie, il ne leur interdit évidemment pas de professer leur foi telle que Pierre vient de la proclamer en leur nom mais leur interdit de le présenter comme le Messie tel qu’il était attendu par le peuple. Il ne vient pas avec un pouvoir royal mais avec l’humilité d’un serviteur.
Cette question que Jésus pose à ses disciples dans ce récit évangélique, il nous la pose aussi à chacun de nous. Pour nous, qui est Jésus ? C’est par une foi vécue et engagée plus que par des mots, que nous pouvons répondre à cette question.
Armand Veilleux