Homélies de Dom Armand Veilleux

6 mars 2022 - 1er dimanche de Carême "C"
Deut 26, 4-10; Rom 10, 8-13; Luc 4, 1-13
 

 

H O M É L I E

           Durant la nuit de Noël 1993, un groupe des « frères de la montagne » se présenta au monastère de Tibhirine, en Algérie, et leur chef Saya Attiya présenta trois requêtes au prieur, père Christian de Chergé, qui répondit négativement à chacune d’elles. Et lorsque Attiya lui dit que les moines n’avaient pas le choix il répondit « Oui, nous avons le choix ». Attiya se retira... jusqu’au moment fixé, pourrait-on dire. Et l’on connaît la suite.

5 mars 2022 -- Samedi après le Mercredi des Cendres

Is 58, 9b-14 ; Lc 5, 27-32

 

 

H O M É L I E

           Il est vraiment intéressant de voir comment Jésus, dans les débuts de son ministère public, alors même que les foules courent après lui, appelle une à une quelques personnes à devenir ses disciples en leur disant simplement: "suis-moi".  Et dans chaque cas il s'agit précisément d'hommes qui ne faisaient pas partie de ces foules d'admirateurs ou de curieux et qui, en général, étaient tout bonnement à leur travail. Après les pêcheurs, Simon, Jacques et Jean, voici maintenant qu'il appelle un collecteur d'impôt.

4 mars 2022 -- Vendredi après le Mercredi des Cendres

Is 58, 1-9a ; Mt 9, 14-15.

H O M É L I E

 

           Nous avons eu cet Évangile dans un autre contexte, au cours des dernières semaines.  Il s'agissait alors d'une série de discussions entre les Pharisiens et Jésus sur l'observance de la loi.  Relisant ces paroles de Jésus dans le contexte du Carême, nous sommes évidemment plus frappés par la dernière phrase:  "Des jours viendront où l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront". 

3 mars 2022 -- Jeudi après le Mercredi des Cendres

Dt 30, 15-20 ; Lc 9, 22-25

H O M É L I E          

           Le mystère pascal est une réalité complexe, qui comprend, indissolublement, le mémorial de la mort du Christ et de sa résurrection.  Sa mort n'aurait pas de sens si elle n'était un acte d'obéissance et d'amour à l'égard du Père; et la résurrection n'a de sens qu'en relation avec cette mort, puisqu'elle est la réponse du Père à l'obéissance pleine d'amour de son Fils.  C'est pourquoi les textes liturgiques nous mettent d'emblée en présence de ce diptyque, en nous faisant entendre dès le deuxième jour de Carême cette parole de Jésus: "Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup... qu'il soit mis à mort et, le troisième jour, qu'il ressuscite". 

2 mars 2022 – Mercredi des Cendres

Joël 2, 12-18; 2 Cor 5, 20 ; 6, 2; Matt 6, 1-6. 16-18

Monastère de Maromby, Fianarantsoa, Madagascar

 

Homélie

           Dans ce que nous appelons le Sermon sur la montagne, c’est-à-dire le long discours par lequel, dans l’Évangile de Matthieu, Jésus commence sa prédication, il établit d’abord, dans la série de béatitudes, la charte fondamentale du monde nouveau – du royaume des cieux -- qu’il veut instaurer.  Puis Jésus explique qu’il n’est pas venu abroger la Loi mais la porter à sa plénitude, et il conclut : « si votre justice ne dépasse pas celles des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». 

           Que signifie le mot « justice » dans ce contexte ? Dans le langage et la vision juridique de l’époque, être juste consistait à être conforme aux préceptes de la Loi, en trois domaines en particulier : l’aumône, la prière et le jeûne. Jésus dit donc à ses auditeurs que si leur aumône, leur prière et leur jeûne ne dépasse pas l’attitude des Pharisiens, ils n’entreront pas dans le Royaume.   Serait-ce que Jésus les invite à faire plus d’aumônes, à réciter plus de prières et à pratiquer un jeûne plus rigoureux ? 

           Non ! Ce n’est pas ce à quoi Jésus les appelle – et nous appelle.  Et il s’explique tout de suite après, dans le texte que nous venons de lire.  Lisons le premier verset selon la traduction de la Bible de Jérusalem, qui rend beaucoup mieux le sens du texte grec que l’adaptation du lectionnaire liturgique.  « Gardez-vous, dit Jésus, de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux » [au lieu de « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer »]. Et alors, il donne ses recommandations concernant ce qui était considéré comme les trois piliers de la justice, selon les Pharisiens : l’aumône, la prière et le jeûne.

           Dans ces trois domaines, l’enseignement de Jésus est un appel à la vérité et à la droiture d’intention. Notre être vrai, notre vrai « moi » à chacun de nous, se trouve au centre le plus intime de nous-mêmes, là où nous recevons notre être de Dieu, là où nous sommes sans cesse engendrés par le Souffle de vie de Dieu.  Autour de ce noyau, il y a diverses couches d’enveloppes protectrices – tous nos « egos » -- et nous en avons ajouté plusieurs pour mieux nous protéger.  Si bien que nous courons le danger de toujours vivre à la superficie de notre être.  Nous essayons de donner aux autres la plus belle image possible de nous-mêmes, et nous nous complaisons facilement dans cette image, étant d’ailleurs souvent plus dupes que ceux et celles qui nous entourent.

           Au sujet de l’aumône, Jésus met en garde de la pratiquer, soit pour se faire remarquer par les autres, soit même pour se donner bonne conscience. Moins la chose sera publique, moins on sera conscient soi-même de sa propre générosité, mieux ce sera, car la seule chose qui compte vraiment est la motivation profonde, qui, de sa nature même, est secrète pour tous, y compris pour nous-mêmes et que seul le Père voit dans le secret.

           De même pour la prière. Si nous prions pour nous faire remarquer – soit des autres, soit de nous-mêmes, soit même de Dieu, nous avons déjà reçu notre récompense.  Notre prière ne va pas plus loin.  La vraie prière est dans le secret du coeur : ce n’est pas celle qu’on pourrait prétendre enseigner, ni celle qui procure de beaux et chauds sentiments, ni celle qui peut se soupeser.  C’est la prière tout nue, tout intérieure, au-delà des gestes ou des paroles qui peuvent l’exprimer et que personne autre que Dieu ne peut entendre, même pas nous-mêmes.  C’est sans doute d’elle que voulait parler saint Antoine d’Égypte qui affirmait que la prière n’est pas encore pure aussi longtemps que l’on a conscience de prier.

           L’évangéliste Matthieu introduit ici le texte du Pater et, dans un passage qui vient tout de suite après, qui est le troisième élément du triptyque, Jésus donne le même enseignement concernant le jeûne.

           Puisse ce Carême nous aider, chacun de nous, à nous délester de quelques couches supplémentaires de notre ego, pour nous permettre de vivre, dans une vérité toujours plus grande tous les aspects de notre vie, et pénétrer ainsi toujours plus profondément dans la vie intérieure, laquelle consiste à être en contact aussi constant que possible avec ce point, au cœur de notre être, où se tient, en secret, l’échange de Parole qui nous engendre sans cesse à la Vie.

Armand VEILLEUX

          

 

27 février 2022 – 8ème dimanche "C"

Si 27, 4-7; 1 Co 15, 54-58; Lc 6, 39-45

Homélie

           À première lecture, cet évangile nous semble une collection un peu désordonnée de paroles de Jésus qui n'ont pas beaucoup de relation les unes aux autres.  Mais cela n'est vraiment pas le genre de Luc, qui est un bon écrivain, et qui sait surtout comment structurer un récit. Examinons donc un peu le contexte. 

22 février 2022 – Chaire de saint Pierre

1 P 5, 1-4; Mat 16, 13-19 

 

Homélie pour la fête de la Chaire de saint Pierre    

           Et vous, qui dites-vous que je suis?

           Il n’est jamais facile de traduire un texte dans une autre langue en en respectant toutes les nuances.  Les traducteurs du lectionnaire liturgique, dans leur effort pour rendre le texte intelligible aux personnes d’aujourd’hui paraphrasent parfois le texte, ou y ajoutent quelque chose. Ainsi, dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus demande à ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». La traduction que nous avons lue paraphrase cette question, ajoutant les mots : « pour vous qui suis-je ? », donnant aux paroles de Jésus une note intimiste qu’elles n’ont pas.