17 mars 2024 – 5ème dimanche de Carême "B"
Jr 31,31-34; He 5,7-9; Jn 12,20-33
H O M É L I E
Le texte de Jérémie que nous avons entendu dans la première lecture de la Messe est l'un des plus beaux de la bible sur la conversion. Tout d'abord il décrit celle-ci non pas comme un simple changement de comportement, ou comme le remplacement d'un "ego" par un autre "ego", mais comme un changement profond du coeur. Et par ce changement de coeur il faut entendre non seulement un coeur plus pur, un coeur qui désire de plus belles choses, mais bien un coeur qui soit si profondément imprégné de l'Esprit de Dieu qu'il désire spontanément tout ce que Dieu lui-même désire. "Je mettrai ma Loi au plus profond d'eux-mêmes; je l'inscrirai dans leur coeur... Ils n'auront plus besoin d'instruire chacun son compagnon... Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu'aux plus grands."
Il s'agit d'une obéissance "radicale" à Dieu. Radicale, puisque c'est l'obéissance à partir de la racine (radix) même de notre être.
Mais comment Dieu réalise-t-il ce changement? Comment nous enseigne-t-il sa loi? Comment apprenons-nous l'obéissance? -- Il n'y a pas d'autre voie que celle que le Christ nous a enseignée; celle qu'il a lui-même utilisée.
La Lettre aux Hébreux nous parle de ses prières "avec un grand cri et dans les larmes", ajoutant qu'il "a.… appris l'obéissance par les souffrances de sa passion". N'avons-nous pas tous fait l'expérience que les choses les plus importantes de la vie sont apprises par la souffrance beaucoup plus que par toute une vie d'étude? Le texte ajoute aussi que le Christ est devenu une source de salut pour tous ceux qui lui obéissent. Nous sommes donc appelés à lui obéir, tout comme il a lui-même obéi au Père, de la même manière radicale, c'est-à-dire par une remise radicale de tout notre être entre ses mains. Et comment pouvons-nous apprendre l'obéissance si ce n'est comme Il l'a fait lui-même, c'est-à-dire à travers la souffrance?
C'est pourquoi il nous dit dans l'Évangile: "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd; celui qui la perd en ce monde la garde pour la vie éternelle."
Quel est ce sens de cette petite phrase énigmatique que nous retrouvons un certain nombre de fois dans l'Évangile (sous des formes légèrement différentes): "celui qui aime sa vie la perd; celui qui perd sa vie en ce monde la sauve pour la vie éternelle"? Sauver sa vie veut dire y tenir, s'y accrocher par peur de la mort. Perdre la vie veut dire: lâcher prise, se détacher, accepter de mourir. Le paradoxe est que celui qui craint la mort est déjà mort; alors que celui qui n'a plus peur de la mort a déjà commencé de vivre en plénitude.
Mais pourquoi faudrait-il que quelqu'un soit prêt à souffrir et à mourir? Cela a-t-il du sens? Le mot-clé ici est "compassion" (souffrir avec). La chose que Jésus voulait absolument détruire était la souffrance et la mort: la souffrance du pauvre et de l'opprimé, la souffrance du malade, la souffrance et la mort de toutes les victimes de l'injustice. La seule façon de détruire la souffrance est de renoncer à toutes les valeurs de ce siècle... et d'en souffrir les conséquences. Seule l'acceptation de la souffrance peut vaincre la souffrance dans le monde. La compassion peut détruire la souffrance en souffrant avec ceux qui souffrent et en leur nom. Une sympathie pour le pauvre qui ne serait pas prête à partager ses souffrances serait une émotion stérile. On ne peut avoir part aux bénédictions des pauvres sans être prêt à partager leurs souffrances. On peut dire la même chose de la mort.
C'est précisément cela que Jésus a fait pour nous. C'est ce dont nous ferons mémoire durant les prochaines semaines. Puisons dans l'Eucharistie la force de suivre ses pas.
Armand VEILLEUX