Homélies de Dom Armand Veilleux

28 décembre 2023 – Fête des Saints Innocents

1 Jean 1, 5 - 2, 2 ; Matthieu 2, 13-18 

H o m é l i e

          L`Évangile de Matthieu, d’où est tiré le récit évangélique de la messe d’aujourd’hui, commence par les mots : « Livre des origines de Jésus-Christ, fils de David ». Dans le texte original grec le mot traduit par « origines » dans nos bibles en langue française est « genesis » (« Biblios genesis Jesou Christou ») . Matthieu veut souligner par là le fait que la naissance de Jésus est une nouvelle genèse, un nouveau commencement, pour toute l’humanité.

27 décembre 2023 – Fête de saint Jean

1 Jean 1, 1-4 ; Jean 20,2-8  

H o m é l i e

C’est à la joie que nous invite saint Jean dans sa première lettre, dont nous avons lu le début comme première lecture.

          Si nous voulions faire de l’exégèse pointue, nous pourrions nous demander si l’auteur de cette lettre, ou de l’apocalypse ou même de l’Évangile de Jean est vraiment l’apôtre Jean, le disciple bien-aimé qui reposa sur la poitrine de Jésus à la dernière Cène et qui se trouva, fidèle, avec Marie, au pied de la croix. Cela n’a pas d’importance en réalité, car ce que tous ces écrits nous transmettent c’est la foi des Églises d’Asie évangélisées par l’apôtre Jean. Que les textes, dans leur forme définitive aient été écrits par lui ou par ses disciples, cela n’a guère d’importance. Ils transmettent son message.

          L’un des aspects les plus frappants de l’Église primitive, c’est la grande diversité que l’on peut constater entre les Églises locales, ayant chacune une identité propre et une sensibilité religieuse distincte. Il y a même une grande différence entre les Églises de Palestine, de Syrie et d’Asie, d’une part, toutes sous l’influence de la pensée johannique et, d’autre part, tous les pays – disons, en gros, de l’Empire Romain – sous l’influence de Paul. Il est bon que, tout de suite après avoir célébré la naissance du Messie, ce soit le message des Églises d’Asie que nous entendions en cette fête de saint Jean.

          Dans les deux textes que nous avons entendus, nous percevons un aspect important de la prédication chrétienne primitive, qui n’est pas un enseignement sur les vérités de la foi, ni même – pourrait-on dire – un enseignement sur le Christ, mais tout simplement la transmission d’une expérience. Et cela est tout à fait dans la ligne de la prédication de Jésus lui-même. Jésus n’a pas fait de grandes leçons de théologie morale ni même de théologie dogmatique. Il nous a dit simplement qu’il avait un Père ; et il s’est efforcé de nous faire comprendre à travers plusieurs paraboles, qui était son Père, puis il nous a dit que son Père et lui étaient unis dans un lien d’amour qu’il a appelé l’Esprit Saint, et il nous a dit que nous étions invités à entrer dans ce même réseau d’amour et à devenir nous aussi un avec Lui, son Père et l’Esprit Saint.

          Jean, dans l’Évangile d’aujourd’hui ne fait rien d’autre. Il veut tout simplement nous transmettre non pas des idées ni des exhortations moralisantes, mais simplement son expérience : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ». Et il nous dit tout bonnement qu’il le fait pour que SA joie soit complète. Ce qui nous fait comprendre que notre joie à nous aussi sera complète lorsque nous partagerons avec nos frères et nos soeurs, et, à travers notre vie, avec le monde entier, notre propre expérience du Christ.

          Pour l’Évangile que nous avons entendu, c’est aussi la dernière phrase, qui retient notre attention : « Il vit et il crut ». C’est lapidaire. Ce qu’il vit, c’étaient des choses qui pouvaient être décrites : des bandelettes et un morceau de linge qui avait recouvert la face de Jésus. Ce qu’il crut ne peut être décrit.   Il crut tout simplement. C’est à dire que sa confiance et son amour pour le Christ retrouvèrent toute leur intensité.

          Nous sommes facilement préoccupés de la joie des autres ; mais nous ne pouvons communiquer que celle que nous avons. Alors, comme l’apôtre Jean, partageons tout simplement à travers notre vie notre propre expérience de l’Enfant de Bethléem : ce que de Lui nous avons vu, entendu, touché dans nos vies. Et faisons-le tout simplement – je dirais presque égoïstement – pour que notre joie soit complète. Et si notre joie est vraie, elle sera contagieuse !

Armand Veilleux

         

25 décembre 2023 – Messe du Jour

Is 52,7-10 ; He 1,1-16 ; Jean 1, 1-18

H o m é l i e

Jésus de Nazareth est un migrant, fils de migrant.

L’un des titres qu’on lui donnait dans la littérature chrétienne des premiers siècles est précisément celui d’Étranger. Il est l’Étranger par excellence. Il est même étranger chez lui, car, comme le dit le Prologue de l’Évangile de Jean, Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu.

25 décembre 2023 – Messe de Minuit

Is 9, 1-6; Tt 2, 11-14; Lc 2, 1-14

H o m é l i e

Chers frères et sœurs,

           Le problème des « sans papiers » n’est pas nouveau. Il existait déjà au temps de la naissance de Jésus. Les Juifs, sous l’occupation romaine, étaient des réfugiés dans leur propre pays – comme il y en a des millions de nos jours. C’est ainsi que, pour répondre au caprice de l’occupant, Marie et Joseph, comme tant d’autres, durent prendre la route pour aller se faire mettre en règle.

           C’est précisément avec une brève mention de cet évènement que l’Évangéliste Luc, ouvre le grandiose chapitre 2 de son Évangile, dans lequel il annonce tous les grands thèmes de cet Évangile. Il ne s’agit pas, dans ce texte, d’un simple récit de la naissance de Jésus. De fait, Luc ne fait parler aucun des personnages de son récit sauf les anges ! Il s’agit d’une prise de position doctrinale. Et Luc, qui est un excellent écrivain, choisit avec grande attention chacun des mots qu’il utilise lui-même dans ce récit.

           En premier lieu, Luc fait arriver Marie et Joseph jusqu’à Bethlehem, la cité de David. La naissance de Jésus n’a pas lieu durant le voyage, mais une fois qu’ils sont arrivés à Bethlehem – « pendant qu’ils étaient là », dit le texte. Puis la traduction que nous avons lue dit : « le temps où elle devait enfanter fut accompli ». Il serait sans doute plus juste de traduire littéralement l’original grec et dire : « Les temps furent accomplis et arriva pour elle le temps d’enfanter ». Ce sont les temps, dans l’absolu, qui sont accomplis (et non seulement les neuf mois de la gestation de Marie). Nous sommes arrivés à la fin des temps. Et puis, il y a un autre problème de traduction. Le texte grec ne dit pas qu’elle mit au monde « son fils premier-né », mais bien qu’elle mit au monde « le premier-né », le premier-né par excellence, c’est-à-dire le premier-né du Père éternel.

           Et que fait Marie ? Tout de suite elle nous donne son fils, et elle nous le donne en nourriture. En effet, dans les paroles qui suivent, Luc annonce déjà symboliquement le mystère de l’Eucharistie et de la Passion. Marie dépose son fils dans une mangeoire. Notons bien que Marie et Joseph sont déjà dans la cité de Bethlehem et que le texte de l’Évangile ne parle ni d’étable, ni de grotte, et encore moins de bœuf ou d’âne. Dans le langage symbolique de Luc, en déposant son enfant dans une mangeoire, Marie nous l’offre en nourriture, non sans l’avoir entouré de bandelettes, comme on fait pour la sépulture -- ce qui annonce déjà la passion. Car il n’y avait pas encore de place dans la « chambre haute », c’est-à-dire que son « heure » n’était pas encore arrivée. En effet le mot grec utilisé ici (traduit par « chambre commune ») ne signifie pas une auberge. Le mot n’est utilisé que deux fois dans le Nouveau Testament : ici, et dans le récit de la dernière Cène, où il désigne la chambre haute où se fait le dernier repas.

           Sans aller plus loin dans l’exégèse de ce passage de l’Évangile de Luc, nous voyons déjà qu’il ne s’agit pas simplement d’un récit un peu romantique de la naissance d’un bébé dans une grotte, en pleine nuit. On y trouve plutôt ici une réflexion théologique très profonde sur le sens de cette naissance. On comprend alors pourquoi Luc fait intervenir les anges (qui, encore une fois, sont les seuls qui parlent dans tout ce récit) pour dire aux pasteurs qui gardent leurs troupeaux : « Je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple... Aujourd’hui... vous est né un Sauveur ». Et quel est le signe qu’est arrivé le salut ? « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Et le récit se termine avec le chant d’un chœur céleste : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes, qu’il aime ».

           Saint Luc écrit en grec. Pour parler de « paix », il utilise ici le mot eirenè, qui signifie absence de violence, de guerre. Mais les anges ont certainement chanté dans la langue des bergers ( ! ) et ils ont certainement utilisé le mot shalom, qui est beaucoup plus lourd de sens. Shalom signifie le bien-être des humains entre eux, un bien-être fondé sur la justice et la vérité et qui s’exprime dans la fraternité et engendre la joie. Cela n’a rien à voir avec la pax romana, cette tranquillité résignée qui produit les empires.

           Cette paix qu’annonce les anges, c’est celle dont parlait déjà le prophète Isaïe dans un langage poétique évocateur que nous avons entendu comme première lecture : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné » ; alors « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière et sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi ».

           Et saint Paul, en penseur profond qu’il est, parle – dans la deuxième lecture -- de la « manifestation de la grâce de Dieu » -- grâce dans le sens de beauté, de tendresse, de miséricorde, et qui nous appelle à vivre dans le temps présent de manière « raisonnable », c’est-à-dire avec justice et piété.

           Ces trois lectures nous tracent tout un programme de vie. Noël ne doit pas être un moment de nostalgie qui nous fait oublier la réalité. La réalité est que, de nos jours comme au temps de Jésus, mais sans doute dans des proportions numériques nettement plus grandes, nombreux sont les sans-papiers, nombreux sont les réfugiés dans leur propre pays. Le nombre des enfants réfugiés se compte par dizaines de millions. Nombreux sont les enfants tués par des hordes barbares, au nom d’idéologies diaboliques. Nombreux sont les enfants soldats à qui on apprend à tuer à un âge où il faut apprendre à vivre. Nombreuses sont les victimes des crises économiques et des programmes d’austérité censés y porter remède. Et pourtant... Et pourtant, « Je vous annonce une grande joie pour tout le peuple », disait l’ange aux bergers. Pour tout le peuple... Il nous appartient, à nous, à chacun de nous, de voir ce qu’il nous est possible de faire pour que ce projet se réalise, pour que tous nos frères et soeurs en humanité soient rejoints dans leur vie de tous les jours par ce message de paix et de joie.

           Nos chants de Noël, avec toute leur poésie, et parfois leur romantisme, ne seront utiles, notre contemplation de l’Enfant de la crèche ne sera vraie, que si le chant des anges et l’étoile des bergers nous conduisent vers les éléments les plus fragiles et les plus marginalisés de notre humanité, et si nous reconnaissons en eux Celui dont nous célébrons cette nuit la naissance.

Armand Veilleux

21 décembre 2023 – 4ème semaine de l’Avent

Cant 2, 8-14 ; Luc 1, 39-45

H O M É L I E

          Dans les deux premiers chapitres de son Évangile, Luc présente tous les grands thèmes de cet Évangile, et met déjà en présence tous les personnages importants, à commencer par Jésus et Jean-Baptiste, qu’il fait se rencontrer ici déjà dans le sein de leur mère.

19 décembre 2023

Jg 13, 2…35 ; Lc 1, 5-25

Homélie

          Dans les deux premiers chapitres de son Évangile, Luc raconte, en des récits tout à fait parallèles, les évènements relatifs à Jean-Baptiste et ceux relatifs à Jésus. La circoncision de Jean-Baptiste avec le chant de Zacharie est parallèle à celle de Jésus, avec le chant de Siméon ; Jean grandit et se retire au désert, tout comme Jésus grandit et se retirera lui-aussi au désert pour quarante jours ; etc.

18 décembre 2023

Jer 23, 5-8 ; Mat 1, 18-24

 

H o m é l i e

          Dans ce récit de Matthieu, qui continue le texte lu hier, le titre « Fils de David » est donné aussi bien à Joseph qu’à Jésus. Ce qui est ainsi souligné, est le caractère profondément humain de l’intervention de Dieu dans l’histoire. Le Fils de Dieu ne s’est pas incarné dans l’abstrait. Il devint homme – un homme concret -- né à un moment particulier de l’histoire humaine, dans un peuple déterminé et une famille bien précise. Cet environnement particulier l’a façonné, lui a donné les catégories de pensée et de langage qui lui permirent de nous parler utilisant un ensemble bien spécifique d’images et de concepts.