25 mars 2020 – Annonciation du Seigneur
Isaïe 7,10-14; Hébreux 10,4-10; Luc 1,26-38

 

Homélie

          Il y a dans chacune des trois lectures que nous venons d’entendre, un petit mot qui exprime bien le sens profond de la fête d’aujourd’hui.  C’est le petit mot grec idou, qu’on traduit en français par « voici », et qui correspond encore mieux au mot italien « ecco », spécialement dans l’expression « eccomi » -- me voici, je suis à ta disposition.

         

           Avant tout, c'est le "me voici" de Dieu qui, qui, dans son grand amour, décide d'établir une relation avec sa créature (1ère lecture).  Puis, c'est le "me voici" du Fils, (dont parle la Lettre aux Hébreux) qui nous est envoyé par le Père et qui dit à celui-ci: "me voici, je viens, pour faire Ta volonté".  Et, finalement, c'est le "me voici" de Marie, qui dit au nom de toute l'humanité: "me voici, je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait comme tu l'as dit." 

          Dans cette longue histoire, qui est aussi la nôtre, tout commence donc par un geste de Dieu qui se propose, qui demande d’établir une relation, et qui le fait d'une manière très délicate.  Comme dans les propositions de mariage dans les cultures anciennes, il utilise un messager, pour laisser à la créature toute sa liberté de répondre comme elle veut.  Le messager salue Marie:  "Je te salue... tu es pleine de grâce... Le Seigneur est avec toi... Ne crains pas..."  Le messager de la proposition d'amour laisse un espace pour la question et y répond... Il parle des manifestations d'amour adressées à d'autres:  "vois, ta parente, Élizabeth, elle aussi..."  Et quand Marie exprime son acceptation, l'ange s'en va... Sa mission est terminée.  La proposition a été acceptée; les amants peuvent se rencontrer.  L'union entre Dieu et l'humanité peut avoir lieu.  De cette union naîtra l'homme-Dieu.

          Avant cette union et avant cette naissance, les humains avaient compris leur relation à Dieu et à la nature en termes de domination.  Ils percevaient Dieu comme un maître puissant et dangereux, qu'il fallait apaiser avec des sacrifices d'objets, d'animaux et même de personnes humaines, sur qui l'homme exerçait son domaine.  Avec l'Incarnation, le fils de Dieu a mis fin à cette économie des sacrifices qui était toujours un exercice de puissance – offrir un sacrifice, c’est reconnaître la puissance de Dieu, mais c’est aussi un acte de puissance de la part de celui qui l’offre ! "Tu n'as pas voulu ni sacrifice, ni offrande... Me voici, je viens pour faire ta volonté." (Notons le mot « faire ».  L’Écriture parle rarement de bonnes intentions.  Il s’agit toujours de « faire » : faire la vérité, faire la volonté de Dieu.)

          Et le Fils, au moment suprême de son obéissance, nous a dit:  "Faites ceci vous aussi en mémoire de moi".  Il nous a invités à nous donner, comme Lui s'est donné.

          Dans notre vie, nous avons nous aussi nos annonciations.  Un jour nous avons entendu Dieu qui nous invitait à l'aimer et à le servir dans la vie monastique.  Et puis, comme tous les autres humains, nous avons nos innombrables annonciations quotidiennes.  Demandons la grâce de savoir toujours dire, comme le Fils bien-aimé et sa Mère: « Me voici, pour faire ta volonté ».

          Il y a aussi les « annonciations » faites à nos communautés. Une Visite Régulière, par exemple, est un moment où l’on s’efforce de mieux voir ce que Dieu attend de nous non seulement comme individus, mais comme communauté. Ce regard nous oblige à pratiquer la forme la plus fondamentale – peut-être la plus difficile, mais aussi la plus vraie d’obéissance – qui consiste à obéir à la réalité – la réalité concrète qui est la nôtre.  Une réalité qui est à la fois plus fragile et plus solide que tous nos rêves. Nous pouvons rêver de grandes communautés où il y a des personnes compétentes en grand nombre pour remplir toutes les tâches et où le supérieur, dégagé de toutes ces tâches peut admirer à distance comment la mécanique communautaire fonctionne à merveille. Nous pouvons rêver de communautés où arrive un flot continue de nouvelles recrues. Tous ces rêves disparaissent assez vite.  Et lorsqu’ils ont disparu, nous nous retrouvons avec la réalité – une réalité encore plus belle -- celle de communautés, petites pour la plupart, où chaque personne donne le meilleur d’elle-même ou de lui-même, et où se produit chaque jour le miracle de la vie plus forte que tout.

          La réalité que chacun de nous a à vivre dans sa communauté, c’est cette réalité qui est notre messager, notre Gabriel, qui nous salue, qui nous dit que nous sommes nous aussi comblés de grâces, et qui nous dit qu’en nous et par nous Dieu veut continuer sa présence en l’humanité.  Disons donc, chacun de nous en notre nom personnel et aussi au nom de notre communauté.  Me voici --- pour faire ta volonté. Alors la Parole de Dieu en nous aussi se fera chair.

Armand VEILLEUX