5 avril 2020 – Dimanche des Rameaux et de la Passion

Récit de la Passion selon Matthieu

H o m é l i e

          Il y a un temps pour écouter et un temps pour parler. Jésus nous donne l’exemple de l’une et de l’autre attitude. Déjà, dans la première lecture, le prophète Isaïe, préfigurant le Messie, disait : La Parole me réveille chaque matin... pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire.   

 

          Le récit de la Passion selon Matthieu est précédé d’une introduction, composée de trois brefs dialogues. Tout d’abord celui de Judas avec les chefs des prêtres, à qui il dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? ». Et puis le dialogue des disciples avec Jésus : « Où veux-tu que nous préparions la Pâques », et enfin le dialogue que Jésus demande à ses disciples d’avoir avec un de ses amis : « C’est chez toi que je veux célébrer la Pâques avec mes disciples ». Cet ami a accepté de leur prêter la chambre haute pour la célébration de la Cène et les chefs des prêtres ont très bien compris le message de Judas.

          Dans chacun des moments qui vont suivre : la Cène, l’agonie à Gethsémani, l’interrogatoire chez le grand prêtre puis celui chez Pilate, ainsi que sur le Calvaire, il y aura une alternance frappante de silences et de paroles fortes. Aucune parole inutile dans ces moments de grande intensité ! --- Il y a des questions auxquelles Jésus ne daigne pas répondre. Il préfère renvoyer ses interlocuteurs à leur propre vérité. Ainsi, lorsque, au début du repas, il affirme qu’un des douze le trahira et que Judas demande hypocritement : « Est-ce moi ? » il répond simplement « C’est toi qui le dit. » Au Grand Prêtre qui lui demande, mais seulement afin d’avoir un motif de le condamner : « Es-tu le Messie, le Fils de Dieu ? » il répond de même : « C’est toi qui le dis » ; et à Pilate qui lui demande s’il est le roi des Juifs, il donne encore la même réponse énigmatique : « C’est toi qui le dis !... »

          Au jardin de Gethsemani il se confie à ses trois disciples privilégiés et à son Père, en des phrases d’une brièveté et d’un poids inégalables. À ses disciples il se confie : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez avec moi. » ; et, à son Père : « S’il est possible que cette coupe s’éloigne de moi. Mais que ta volonté soit faite ».

          Et, au Calvaire, dans ce récit de Matthieu, il n’y a qu’une seule parole de Jésus : « Mon père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » suivie d’un grand cri.

Et ce cri n’a cessé de résonner depuis plus de deux mille ans.

          Aujourd’hui, nous entendons ce cri dans la clameur de tous ceux qui souffrent, de toutes les victimes des guerres, d’injustices, d’oppression, ou de maladies comme la pandémie que nous connaissons actuellement. Nous l’entendons aussi dans toutes les autres formes de douleur et de souffrances, y compris les nôtres. Nous l’entendons. -- Mais l’écoutons-nous ? Est-ce la Parole qui nous réveille chaque matin pour nous apprendre à « réconforter à notre tour ceux qui n’en peuvent plus ? ».

          Si nous examinons nos coeurs et nos vies, nous réaliserons que nous sommes un peu, selon les circonstances, chacun des personnages qu’on trouve dans ce récit. Peut-être nous sommes-nous parfois ce pauvre type qui propose à d’autres un marché un peu sulfureux, pour se rendre compte trop tard que cela a eu des effets plus graves qu’on avait pensé. D’autres fois, nous sommes ces docteurs de la loi et ce grand prêtre, solidement établis dans nos certitudes – des certitudes que nous devons défendre, quelles que soient les conséquences pour les autres. D’autres fois nous sommes ce pauvre Pierre, plein de bonne volonté, pas méchant du tout, mais faible, qui trahit -- par crainte. D’autres fois nous sommes le centurion qui fait son sale métier et qui finit par dire : « vraiment celui-ci était le Fils de Dieu ». D’autres fois, sans doute, nous sommes aussi Jésus. -- Mais combien de fois ?

Armand VEILLEUX