19 avril 2020 -- 2ème dimanche de Pâques "A"

Actes. 2,42-47; 1 Pierre 1,3-9; Jean 20, 19-31

H O M É L I E

          Chacun des Évangélistes nous a rapporté à sa façon les événements qui ont suivi la Résurrection du Christ.  Il ne faut surtout pas essayer de réconcilier leur chronologie des événements.  En réalité ils ne sont pas intéressés par la chronologie et n'essayent pas de nous donner une description exacte des faits.  Ils veulent plutôt nous transmettre une vision théologique.  Luc, qui organise son Évangile autour de Jérusalem et du Temple, répartit les événements survenus après la Résurrection sur une période de cinquante jours, correspondant à la liturgie juive.  Jean, le théologien mystique au regard perçant, ramasse presque tous ces événements en un seul jour, le jour même de la résurrection.

 

          Dans la lecture des Actes, Luc nous décrit la vie des premiers chrétiens se réunissant pour la prière.  Or, nous retrouvons le même enseignement au début de l'évangile d'aujourd'hui, qui est de saint Jean.  Malheureusement la plupart des traductions modernes nous cachent un peu cet enseignement.  Le texte grec original ne dit pas que les disciples avaient "verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs".  Le texte dit que "les portes étaient closes" (fermées, et non verrouillées) à l'endroit où les disciples "se trouvaient réunis par peur des Juifs". Il est plus que probable que Jean, écrivant cela, a à l'esprit l'enseignement de Jésus sur la prière :  "lorsque tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte, et prie ton père dans le secret." Jean veut dire que les disciples étaient en prière.

         

          Et lorsqu'il ajoute, tout de suite après, "Voici que Jésus se tient là -- le verbe est au présent -- au milieu d'eux", Jean a sans doute à l'esprit l'autre parole de Jésus: "quand deux ou trois sont réunis en mon nom" je suis là -- au présent -- au milieu d'eux.

          Jésus manifeste sa présence au milieu de ses disciples lorsque, suivant sa recommandation, ils se réunissent en son nom pour prier, même s'ils sont remplis de crainte.  Cela nous enseigne tout d'abord que chaque fois que nous nous quelque part au nom du Christ, pour prier, il est là, au milieu de nous, alors même que nous pouvons porter avec nous nos peurs.

          Les disciples se trouvent dans cet endroit "par peur des Juifs." C'est là une expression que Jean utilise souvent dans son Évangile.  Et cette expression se réfère toujours à l'incapacité de parler du Christ ou de prêcher l'Évangile.  Ainsi, par exemple, quand Jésus monte au Temple, le jour de la Fête des Tentes, sans se faire reconnaître, parce qu'Hérode voulait le tuer, les gens se demandaient qui il était, mais personne n'osait parler de lui en public "par peur des Juifs".  Lorsque Jésus guérit un aveugle de naissance et que les Pharisiens questionnent ses parents, ceux-ci ne veulent pas répondre "par peur des Juifs".  De même, de Joseph d'Arimathie, qui demanda à Pilate l'autorisation de prendre le corps de Jésus, Jean nous dit qu'il était disciple de Jésus, mais en secret, "par peur des Juifs".  De même, dans l'Évangile d'aujourd'hui, les disciples sont réunis au nom de Jésus, mais ils n'osent pas parler de lui publiquement, par peur des Juifs.  Ils n'ont pas encore reçu l'Esprit Saint qui fera d'eux de courageux témoins de sa résurrection.

          Jean, dans son Évangile, nous présente deux personnes qui n'ont pas peur, et qui peuvent donc proclamer leur foi en Jésus.  La première est Marie Madeleine.  Il s'agit du récit que nous avons écouté le Jour de Pâques, et qui précède immédiatement celui que nous venons de lire.  Le matin de Pâques les femmes vont au sépulcre et le trouvent vide.  Elles ont alors peur et s'enfuient.  Marie Madeleine est la seule qui n'a pas peur.  Elle reste là, près du sépulcre. Lorsque les anges lui demandent ce qu'elle cherche elle répond : "Ils ont emporté mon Seigneur (Kurios)."  Cette parole est très importante.  Pour Marie Madeleine, Jésus n'est pas seulement un grand prophète, ni même seulement le Messie, selon les aspirations générales.  Il est le Seigneur, le Kurios, le Fils de Dieu. Parce que Marie a déjà reconnu Jésus comme Seigneur, elle n'a pas peur et parce qu'elle n'a pas peur Jésus peut se manifester à elle.  Et pourtant lorsqu'elle s'adresse à Jésus elle ne l'appelle pas directement "Seigneur", mais maître rabbouni.

          Thomas est vraiment le premier dans l'Évangile à s'adresser directement à Jésus en l'appelant "Seigneur".  J'ai une grande sympathie et une grande admiration pour Thomas.  Il semble qu'il ait été le seul du groupe des disciples à ne pas avoir peur. Au moins, il était plus courageux que les autres.  Au moment où Jésus apparaît aux autres pour la première fois, Thomas n'est pas là, probablement parce qu'il était allé chercher quelque chose à manger pour les autres, qui avaient trop peur pour sortir.   Lorsqu'il revient et qu'on lui dit : "Nous avons vu le seigneur", sa réaction est normale:  "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets la main dans son côté, non je n'y croirai pas".  Il sait à quel point les autres ont peur et comment, lorsqu'on a peur, on est prêt à croire à tout pour se rassurer.

          Lorsque Jésus apparaît de nouveau, huit jours plus tard et qu'il lui dit: "Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main, et mets-la dans mon côté", Thomas fait ce très bel acte de foi que personne n'a encore fait:  "Mon Seigneur et mon Dieu".  C'est là un véritable acte de foi; non la confiance facile d'un homme qui a peur, mais la foi profonde et éclairée d'un homme courageux, qui a reconnu son Seigneur et son Dieu.  Thomas est, dans l'Évangile, le premier qui s'adresse directement à Jésus en utilisant le nom de "Seigneur".  Jean nous le présente donc comme la figure même du croyant (et non pas de l'incrédule).

          Nous sommes réunis ici ce matin au nom du Christ pour prier son Père.  Nous savons qu'Il est au milieu de nous.  Il vient souffler sur nous pour nous transmettre l'Esprit Saint.  Il nous envoie en mission.  Nous pouvons certes avoir nos peurs.  Mais nous trouvons dans l'Eucharistie que nous célébrons en commun la force de reconnaître nous aussi Jésus comme notre Seigneur, à l'exemple de Thomas, et d'être ses témoins.

Armand Veilleux