12 juillet 2020 – 15ème dimanche « A »

Is 55,10-11; Rm 8,18-23; Mt 13,1-23

H O M É L I E

          L’agriculture ou le jardinage peuvent être une bonne école de patience, de confiance et d’abandon.  Une fois qu’on a travaillé le sol, qu’on y a déposé les semences et qu’on l’a arrosé, on n’a plus qu’à attendre avec patience.  Durant un premier temps il n’y a aucun moyen de savoir de façon certaine si la semence croîtra ou non.  Ensuite on ne peut savoir dans quelle mesure elle croîtra.  On peut agir de diverses manières sur les conditions qui favorisent la croissance, mais on ne peut intervenir aucunement dans le processus même de croissance.  Gardant tout ceci présent à l’esprit, revenons maintenant à la lecture de l’Évangile d’aujourd’hui.

 

          Les prophètes d’Israël ainsi que Jésus parlaient à un peuple composé pour la plus grande partie de fermiers et de pêcheurs.  C’est pourquoi, lorsqu’ils voulaient parler du Royaume de Dieu, ils utilisaient des images et des paraboles liées à la vie et à la croissance.

          Dans la première lecture d’aujourd’hui, le prophète Isaïe compare la Parole de Dieu à la pluie qui abreuve la terre et la féconde et ne retourne pas à Dieu sans avoir accompli la mission pour laquelle elle a été envoyée, c’est-à-dire faire germer la semence et procurer le pain au semeur.  Et dans l’Évangile Jésus compare cette Parole à une semence.

          Une chose remarquable dans l’Évangile d’aujourd’hui est qu’on n’a pas seulement une parabole, mais à la fois la parabole et son interprétation.  Cela est très inhabituel, puisque l’usage classique de la parabole comportait une technique selon laquelle le rabbin ou le maître amenait chaque auditeur à tirer ses propres conclusions de la parabole.  C’est pourquoi les exégètes et les commentateurs sont assez unanimes à penser que la seconde partie de notre Évangile d’aujourd’hui – c’est-à-dire l’interprétation – n’est pas de Jésus lui-même mais représente l’interprétation de l’Église primitive.

          Dans le texte de Matthieu, cette parabole suit immédiatement le récit où les membres de la famille de Jésus voulaient se saisir de lui et le ramener à la maison, parce qu’ils pensaient qu’il avait perdu la tête.  Cette parabole est en réalité une réflexion de Jésus sur son ministère.  Sa Parole – la Parole de Dieu – est reçue de diverses façons.  Chez certaines personnes, elle trouve un coeur de pierre et ne croît pas du tout ; chez d’autres, elle croit avec difficulté, mais elle croît tout de même.  Et quand elle aura atteint sa pleine croissance, ce sera la Fin.  En somme, il s’agit d’un message d’espérance.

          Lorsque cette parabole était racontée dans l’Église primitive, on y ajouta une interprétation qui fut ensuite attribuée à Jésus.  Et, de façon surprenante, il y a eu un glissement d’accent de la semence vers le sol.  Toute l’attention – et la préoccupation – de Jésus se portait sur la semence même, c’est-à-dire sur le Règne de Dieu.  Pour les premiers chrétiens, la préoccupation devient graduellement celle d’être une terre aussi bonne que possible pour recevoir cette semence.

          Une telle préoccupation était évidemment légitime et trouvait un certain fondement dans la parabole elle-même, telle qu’elle avait été racontée par Jésus.  Mais ce glissement montre quand même assez bien notre tendance humaine à être plus préoccupés de nous-mêmes et de la façon dont nous recevons la Parole de Dieu que de la Parole elle-même.  Jésus se préoccupait de la Parole !  Et son message est précisément que même malgré notre endurcissement et notre manque de coopération, la semence du Royaume croîtra jusqu’à sa pleine mesure.

          La raison de ce glissement dans l’objet de notre préoccupation est probablement notre peur innée de la souffrance.  Et pourtant Paul, dans sa Lettre aux Romains, nous rappelle que toute la souffrance dont nous pouvons faire l’expérience n’est qu’un élément du processus de croissance vers la plénitude du Royaume de Dieu en nous.  Il s’agit des douleurs normales de l’enfantement.

          C’est curieux comme nous trouvons facilement toutes sortes de bonnes raisons et de prétextes pour nous protéger de la douloureuse réalité de la croissance et nous réfugier dans l’activité plus sécurisante qui consiste à préparer le sol.  Nous nous sentons plus en sécurité lorsque nous sommes préoccupés de labourer le sol, d’arracher les mauvaises herbes, de retourner la terre de diverses façons.  Nous « faisons » quelque chose et nous attendons une récompense pour ce que nous faisons.  Tout cela est bon et nécessaire.  Mais l’Évangile et Paul nous rappellent une autre dimension :  le besoin d’attendre avec patience pendant que la semence prend le temps de croître ; le besoin de faire l’expérience de la mort de la semence sans être sûrs qu’elle prendra vraiment racine, sans savoir jusqu’à quel point elle croîtra.  Nous ne contrôlons pas la croissance.  Et cela est pénible.  Sont pénible aussi bien le processus de croissance que le fait de ne pas pouvoir le contrôler.

          Tout en demeurant conscients du besoin de pratiques ascétiques, de la nécessité de sarcler le jardin de notre coeur et d’y arroser les plantes, n’oublions pas de revenir à ce qui, pour Jésus, était le plus important :  la Parole de Dieu, la semence déposée par le Père dans l’humanité ; et attendons avec confiance sa croissance en chacun de nous et dans toute l’humanité.  Acceptons aussi de passer à travers les souffrances qui font partie d’une telle naissance et d’une telle croissance.

Armand Veilleux