6 août 2020 – Fête de la Transfiguration

Dn 7,9-10.13-14 ou 2 P 1,16-19; Mt 17, 1-9

 

 

H O M É L I E

             Ce récit évangélique qu’on appelle généralement la « Transfiguration » répond à un style littéraire qu’on appelle l’Apocalyptique. C`est un style que l’on retrouve non seulement dans le dernier Livre du Nouveau Testament, qu’on appelle précisément l’Apocalypse, mais aussi en plusieurs passages des Évangiles. C’est donc à très juste titre que le Lectionnaire liturgique pour la Fête d’aujourd’hui nous donne comme première lecture une vision du Livre de Daniel, qui se situe précisément dans cette ligne.

 

             Arrêtons-nous un peu à cette lecture du Livre de Daniel, qui nous aidera à relire l’Évangile de la Transfiguration dans le contexte du monde d’aujourd’hui. À l’époque du prophète Daniel, une grande culture, la culture grecque est en train de s’imposer rapidement à Israël comme au reste du monde connu à l’époque. Une nouvelle façon de comprendre l’existence et la vie s’imposait. Après une première période au cours de laquelle cette influence nouvelle était reçue candidement et sans esprit critique, il y eut une deuxième période où cette influence commença d’engendrer une crise profonde chez ceux dont la foi et les croyances religieuses n’étaient pas réconciliables avec cette nouvelle approche culturelle. Enfin, en Israël, à partir du règne du roi Antiochus Épiphane, on assista à l’effort systématique d’imposer cette culture, considérée comme « supérieure » aux autres, par la force des armes. Cette soi-disant « culture supérieure » devient de plus en plus intolérante et violente à l’égard des populations faibles, qu’elle opprime et massacre. (Version ancienne de la « lutte des civilisations »).

             C’est alors qu’est écrit le Livre de Daniel. Il appelle à la résistance en s’appuyant sur l’histoire passée du Peuple de Dieu. Et puis, dans une deuxième partie, il adopte le genre littéraire de l’Apocalypse pour exprimer ce que le langage ordinaire et conventionnel ne saurait exprimer : l’absurdité de l’usage de la violence et de la force. Dans ce langage imagé, la couleur blanche symbolise la présence divine et sa sainteté absolue ; les trônes symbolisent la capacité de gouverner l’histoire ; et le « fils de l’homme » préfigure cet être humain qui sera capable de rendre efficace la volonté de Dieu sur l’humanité. Les Évangiles reprendront souvent cette image pour nous présenter la figure de Jésus comme un être humain tout à fait nouveau, capable de rétablir le dialogue entre Dieu et son peuple.

             Dans l’Évangile, les disciples, comme le reste du peuple, s’obstinent à vouloir voir en Jésus un Messie triomphal et invincible qui rétablira le royaume politique de David. Le récit de la Transfiguration, loin d’être une manifestation glorieuse de la divinité de Jésus, est au contraire une révélation de son caractère d’humble serviteur souffrant. Jésus venait tout juste d’annoncer sa passion et sa mort ; et Pierre en particulier avait réagi de façon très vive à cette perspective. Or, de quoi parle Jésus avec Moïse et Élie, dans cette vision qu’ont les Apôtres ? Il parle de sa mort à Jérusalem. Jésus est révélé comme le « fils bien-aimé » du Père éternel, et, en même temps, l’être humain qui accepte l’échec et la mort, et dont la grandeur réside dans l’acceptation de sa faiblesse et de sa vulnérabilité.

             Le mystère de la Transfiguration est une révélation non pas sur Dieu, mais sur l’humanité – cette humanité assumée par le Fils de Dieu dans son incarnation. Pierre, qui, une fois de plus, « ne sait pas ce qu’il dit » (faiblesse qui fait sa grandeur), voudrait geler l’histoire de Jésus dans la manifestation de gloire sur la montagne. Non, il faut redescendre à Jérusalem où se passera ce que Jésus a annoncé.

             Depuis 1945 on ne peut célébrer cette fête liturgique de la Transfiguration, sans se souvenir que c’est le 6 août en cette année que s’abattit la première bombe atomique sur Hiroshima, et que l’humanité fut terriblement défigurée. Cet événement est sans doute celui de l’histoire moderne où s’exprime de la façon la plus claire et la plus tragique la prétention irrationnelle et stupide des humains de vaincre la violence par la violence. Depuis que l’humanité existe, les humains ont toujours essayé de vaincre la violence par une violence plus grande et n’ont jamais réussi à faire autre chose que d’engendrer une autre violence encore plus grande. Comment se fait-il que nous n’ayons pas encore compris ?

             Si nous avions compris le message que nous donne l’Évangile d’aujourd’hui, la tragédie que vivent de nos jours plusieurs pays en guerre n’aurait pas lieu.

             Tout en demandant la conversion de chacun de nos cœurs, au cours de cette eucharistie, prions aussi pour toutes les victimes de ces guerres.

Armand Veilleux