13 septembre 2020 – 24ème dimanche « A »

Si 27,30-28,7 ; Rm 14, 7-9 ; Mt 18, 21-35

Homélie

           Cette affaire des 7 fois et des 70x7 fois est une bien vieille histoire. Elle remonte à l’époque de Caïn et Abel. Après le meurtre d’Abel, selon le récit de la Genèse, Dieu chassa Caïn du Paradis. Ce dernier dit alors à Dieu : « Si tu me chasses aujourd’hui de l’étendue de ce sol, je serai caché à ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera." Et le Seigneur répondit : "Eh bien! Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois." Et, quelques générations plus tard, Lamek, le petit-fils de Caïn, prit deux femmes, Ada et Cilla, et leur dit, avec assez de bravade : "Ada et Cilla, écoutez ma voix! Femmes de Lamek, tendez l’oreille à mon dire! Oui, j’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois."

 

           Nous voyons donc immédiatement tout le chemin parcouru depuis ces premiers jours de l’humanité jusqu’au temps de Jésus et toute la différence entre l’enseignement de l’Ancien Testament et celui de Jésus. Au lieu de se venger sept fois ou soixante-dix-sept fois, il s’agit maintenant de pardonner non seulement sept fois, mais soixante-dix-sept fois.

           J’ai bien parlé de « chemin parcouru ». En effet, la notion de pardon apparaît très tôt dans l’Ancien Testament -- déjà dans le livre de l’Exode qui parle du Seigneur comme d’un « Dieu de tendresse et de compassion, lent à la colère et plein d’amour » (Exode 34, 6-7), ainsi que dans l’enseignement des grands Prophètes. Et puis, nous avons ce beau texte de Ben Sirac le Sage, que nous avons lu comme première lecture. Son livre, qu’on appelle de nos jours le Siracide, et qu’on connaissait autrefois plutôt sous ne nom de Ecclésiastique, a été écrit au deuxième siècle avant le Christ et possède un contenu théologique profond. L’auteur décrit le pécheur comme celui qui s’obstine dans la rancune et la colère, et lui rappelle que s’il se venge il sera l’objet de la vengeance divine, alors que s’il pardonne il pourra compter sur le pardon de Dieu.

           Les anciens donnaient facilement aux chiffres une valeur symbolique à laquelle nous sommes moins sensibles. Dans la culture biblique, le chiffre sept désignait la plénitude. À l’époque du Christ les écoles rabbiniques avaient des enseignements différents concernant le nombre de fois qu’on devait pardonner à quelqu’un qui nous a offensés. Les plus généreux demandaient de pardonner jusqu’à quatre fois. Lorsque Pierre demande à Jésus si l’on doit pardonner jusqu’à sept fois, il lui demande en réalité si l’on doit toujours pardonner (sept étant le symbole de la plénitude). Et quand Jésus répond qu’il faut pardonner soixante-dix-sept fois il affirme simplement qu’il faut absolument toujours pardonner. (Les soixante-dix-sept fois sept fois de certaines éditions sont une erreur de traduction).

           Et pour illustrer son enseignement, Jésus raconte cette parabole de celui à qui le maître avait remis une dette énorme et qui agresse immédiatement une personne qui lui devait une somme ridicule.

           L’enseignement des paraboles est si clair qu’elles ne demandent presque jamais d’explication. Celle-ci en demande moins que toute autre. L’enseignement est on ne peut plus clair. La volonté de Dieu de pardonner est illimitée, infinie. Nous seuls pouvons la limiter en la refusant. Et la meilleure façon de refuser le pardon de Dieu est de refuser de nous identifier à lui, en refusant de pardonner à nos frères.

           Si le pardon est difficile, il est aussi exigeant. C’est tout autre chose qu’une amnistie, qui n’est souvent qu’une autoamnistie, comme celles que proclament parfois les généraux de certaines dictatures latino-américaines il y a quelques décennies et celle que se préparent actuellement les généraux algériens. De telles amnisties ne font souvent que conférer l’impunité à des crimes qui demandent non pas vengeance mais punition et empêchent que justice soit faite aux victimes de ces crimes. Le véritable pardon est tout autre. Il rétablit des liens d’amour entre des frères et des sœurs qui se reconnaissent comme les enfants d’un même père.

           Demandons à notre Père, Dieu de pardon et de tendresse, de mettre en chacun de nos cœurs, tout comme dans les relations entre les peuples et entre les groupes au sein des peuples, cette attitude évangélique de pardon.

Armand VEILLEUX