11 novembre 2020 – Fête de saint Martin

Ez 34, 11-12 ; 15-17 ; 2 Thess 2, 4-8 ; Mt 25, 31-40

En l’abbaye de Ligugé, France

Homélie

L’Évangile de Matthieu nous présente deux formes complémentaires de rencontre de Dieu.  Dans le Sermon sur la Montagne, où Matthieu a rassemblé plusieurs enseignements de Jésus, donnés dès le début de sa vie publique, il y rapporte son enseignement sur la prière.  « Quand tu veux prier, dit Jésus, entre dans ta chambre, c’est-à-dire dans le secret de ton cœur, pour prier ton Père, qui voit dans le secret. » Il s’agit de la rencontre de Dieu dans la solitude et le secret de la prière contemplative. Et puis, vers la fin de l’Évangile de Matthieu, dans le beau chapitre 25, il y a l’enseignement sur la rencontre du Christ dans le frère qui a faim, qui a soif, qui est nu ou qui est prisonnier, qui a besoin d’amour. Ces deux rencontres de Dieu sont complémentaires, et aucune des deux n’est vraie sans l’autre.

 

La rencontre du jeune soldat Martin avec un pauvre grelottant de froid, fut, dans sa vie un moment aussi décisif que la rencontre de Paul de Tarse, sur le chemin de Damas, avec le Christ qui lui dit : « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes ». Si Martin a su reconnaître le Christ dans le mendiant avec qui il a partagé son manteau, c’est évidemment qu’il y avait déjà en son cœur une soif de Dieu.  Cette rencontre fut pour Martin une étape importante dans un cheminement spirituel qui allait le conduire à une autre rencontre, celle d’Hilaire de Poitiers, qui fut son maître dans la vie monastique.

           Hilaire était un lecteur assidu de Tertullien et de Cyprien, deux témoins de l’ascétisme des Églises d’Afrique. Après avoir été évêque de Poitiers, il fut envoyé exilé, comme son contemporain, Athanase d’Alexandrie, qu’il avait peut-être rencontré lors de l’exil de ce dernier à Milan. Durant son exil en Phrygie, Hilaire étudia les Pères grecs et fit la découverte des œuvres d’Origène – Origène, qui avait communiqué son amour et sa connaissance des Écritures au monachisme égyptien primitif. Origène lui-même, à travers son maître Plotin et Philon d’Alexandrie se rattachait à la grande tradition d’interprétation spirituelle de l’Ancien Testament,

           Ainsi donc, lorsque Martin s’installe dans sa cellule à Ligugé, sous la direction d’Hilaire, il s’insère dans une longue tradition spirituelle qui le rattache aux sources spirituelles du monachisme d’Afrique et d’Égypte, et donc à la grande tradition ascétique remontant à la première génération chrétienne.

           Cette tradition est animée d’un désir de connaître Dieu, mais elle sait que le fait d’être connu par Dieu et donc d’être sans cesse engendré et maintenu dans la Vie par Dieu lui-même, est encore plus important que de le connaître.  S’entendre dire par Dieu, le jour du jugement : « Je ne te connais pas » serait le retour au néant. Le désir profond de tout être humain est donc de s’entendre dire : « Entre dans la Vie, entre dans la joie de ton maître. »

           Chers frères de Ligugé, en entrant dans cette communauté, vous vous êtes insérés dans cette longue tradition spirituelle, dans cette série de témoins qui, à travers Martin, à travers son maître Hilaire de Poitiers, et tous ceux qui les ont inspirés, vous rattache à la tradition ascétique des premières générations chrétiennes.  C’est de cela dont nous rendons grâce à Dieu aujourd’hui en célébrant la mémoire de Martin, conscients, en même temps, de notre responsabilité de transmettre cette même tradition deux fois millénaire à l’Église d’aujourd’hui et de demain.

Armand Veilleux