15 novembre 2020 – 33ème dimanche "A"
Pr 31, 10-13.19-20.30-31; 1 Th 5, 1-6; Mt 25, 14-30
H O M É L I E
Quiconque a de l'argent investi à la Bourse, et a regardé la valeur de ses investissements monter et chuter au cours des derniers mois, peut se poser des questions concernant le sens de cet Évangile. Il peut se demander si, après tout, celui qui a enterré son argent au lieu de l'investir, ne se tire pas mieux de la présente situation! Mais cette parabole ne comporte évidemment pas un enseignement sur les placements éclairés ou sur l'économie en général. Elle nous parle de la générosité de Dieu, dont les récompenses sont toujours disproportionnées avec ce que nous pouvons lui offrir.
Ce texte est tiré du grand discours eschatologique de Jésus en Matthieu. Durant les quelques dimanches qui vont suivre, nous alors entendre souvent parler de l'eschaton, ou de la fin des temps. Parlant de "fin des temps", nous devons cependant être attentifs au fait que la conception que Jésus, comme tous les Juifs de son époque, avaient du temps était très différente de la nôtre. Notre notion du temps est quantitative; la leur était qualitative. Les Juifs pensaient le temps et en parlaient comme d'une qualité. Cela est très clair dans la réflexion de l'Ecclésiaste (3,1-4): "Il y a un temps pour toutes choses, un temps pour toute occupation sous le ciel: un temps pour enfanter et un temps pour mourir... un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour gémir et un temps pour danser."
Pour eux, "connaître le temps" ne consistait pas à connaître la date de quelque chose. Il s'agissait plutôt de connaître la qualité d'un moment déterminé. S'agissait-il d'un temps où in convient pleurer où d'un temps où il convient de rire? Ce qu’il fallait connaître était la qualité des attitudes et des événements.
Nous considérons le temps comme une progression d'instants sur une ligne continue, avec un longue série d'instants derrière nous et une autre longue série devant nous. Nous nous imaginons qu'un de ces instants sera le dernier; ce sera alors la fin du temps et la fin de l'histoire. Une telle approche aurait été incompréhensible pour les Juifs du temps de Jésus, et donc pour Jésus lui-même. Alors que nous nous situons sur une longue ligne imaginaire de temps, le Juif de l'antiquité ne se situait nulle part. Il situait les événements, les lieux et les temps et se considérait comme en voyage le long de ces points de repère. Des événements sacrés comme la Création et l'Exode; des places comme Jérusalem et le Sinaï, et des temps comme les Fêtes et les jours de jeûne ou de semailles, étaient des points fixes. L'individu voyageait le long de ces points fixes. Ses ancêtres étaient passés là avant lui et ses descendants feraient de même. Lorsqu'un individu arrivait à l'un de ces points fixes, comme par exemple la Pâque ou encore un temps de famine, il devenait contemporain de ses ancêtres et de ses descendants qui étaient passés ou allaient passer par ce même temps qualitatif. Tous partageaient le même moment, le même temps, même si de nombreuses années pouvaient les séparer.
On considérait que la nature du temps présent était déterminée ou bien par un acte sauveur de Dieu dans le passé (p.e. l'Exode) ou bien par un acte sauveur de Dieu dans l'avenir. L'acte futur de Dieu était toujours vu par les prophètes comme un événement tout à fait neuf et inédit. Cet acte représentait une rupture avec le passé qui était si profonde que cet acte ne pouvait pas être conçu comme la continuation de ce qui avait précédé.
Donc, lorsque nous lisons les textes concernant l'eschaton ou la fin des temps, considérer cet eschaton comme un moment au-delà de l'histoire, c'est-à-dire au delà de la mesure du temps, serait confondre deux conceptions totalement différentes du temps. Les événements de l'histoire sont des actes de Dieu. Par conséquent, lorsque Jésus annonce l'imminence du royaume final et définitif de Dieu, ce qu'il annonce, c'est que Dieu lui-même a changé et que cela peut être vu dans les signes des temps.
Le Dieu de Jésus – son Père – est radicalement différent de l'image de Dieu dans l'Ancien Testament, et même du Dieu que beaucoup de Chrétiens adorent. En réalité Jésus ne présente pas une image de Dieu. Ce qu'il annonce, c'est que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob allait faire quelque chose de tout à fait nouveau et inédit. Dieu lui-même avait été mû de compassion et allait exprimer sa miséricorde et son amour d'une façon tout à fait disproportionnée avec nos actions. Tout fidèle service mériterait à celui qui l'aurait exercé le privilège d'être admis pour toujours dans la joie de son maître. Cette largesse serait refusée uniquement à celui qui s'y serait fermé lui-même par la peur et le manque de confiance.
Nous pouvons, bien sûr, si nous le voulons, tirer de cette parabole une leçon concernant l'utilisation des talents que nous avons reçus. Mais la préoccupation de Jésus dans ce texte n'est pas l’utilisation de nos talents. Elle concerne la largesse et la compassion bienveillante du Père.
Armand VEILLEUX