29 novembre 2020 – 1er dimanche de l'Avent "B"

Is 63, 16...64,7;  1 Co 1, 3-9;  Mc 13, 33-37

 H O M É L I E

          Au cours de l’année liturgique qui débute aujourd’hui, avec ce premier dimanche de l’Avent, c’est l’Évangéliste Marc qui va nous accompagner et nous guider. Au chapitre 11 de cet Évangile, Jésus fait son entrée solennelle à Jérusalem, peu de temps avant sa Passion. Il va directement au Temple où se passeront beaucoup de choses.  La première chose qu’il fait, c’est de chasser du Temple les vendeurs de tout ce qui était nécessaire pour les sacrifices de l’Ancienne Alliance, montrant ainsi qu’une page est tournée. Après discussions avec les Pharisiens et les Scribes et de nombreux enseignements, il sort du Temple. Cette sortie est pleine de symbolisme. C’est alors que ses disciples lui font remarquer la beauté de ce Temple : « Maître, regarde ! Quelles pierres ! Quelles constructions ! » Alors Jésus leur dit que tout cela sera détruit. Avec ses disciples il se rend alors au Mont des Oliviers, en face du Temple. Et c’est là, qu’après bien d’autres enseignements, il leur fait les recommandations que nous venons d’entendre dans le bref texte que je viens de lire.

 

          « Prenez garde, leur dit-il, restez éveillés ». Il leur raconte alors la parabole de l’homme parti en voyage laissant à chacun de ses serviteurs une tâche et demandant au portier de veiller. S’il faut veiller, c’est qu’il fait nuit. Et cette invitation à « veiller », il l’adresse à tous et à chacun de nous. Il l’adresse à la Société et à l’Église d’aujourd’hui comme à celles d’hier et de tous les temps.

          Comme c’est toujours le cas dans le lectionnaire liturgique, la première lecture a été choisie pour éclairer le texte de l’Évangile et en donner une sorte de commentaire. Le poème du prophète Isaïe que nous avons lu a été écrit à l’époque qui suivit l’exil à Babylone. Il était possible alors au peuple de se réunir – ceux qui étaient restés en Israël et ceux qui en avaient été exilés.  Ces derniers avaient la liberté de revenir, mais toujours sous la tutelle des Perses.  Le Peuple se sentait abandonné de Dieu, qui ne correspondait plus à l’image qu’ils s’étaient faite de Lui. Isaïe s’adresse alors à Dieu en lui donnant le titre de Père. Il le supplie : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! ». Les cieux qu’il invite à déchirer, ce ne sont pas les cieux où Dieu habite. C’est la membrane de sécurité que les humains se sont construits entre Dieu et eux et qui les maintient dans une bulle, séparés de Dieu. Cette bulle doit éclater. C’est dans cette bulle qu’il fait toujours nuit.

          Comment appliquer à notre situation d’aujourd’hui ce message de Jésus ?  Comment l’appliquer à l’Église et à la Société d’aujourd’hui ? Nous nous étions fait, collectivement et individuellement, beaucoup d’images de Dieu et beaucoup d’institutions qui nous convainquaient de sa présence et parfois nous la faisaient sentir. Beaucoup de ces images et de ces institutions sont disparues de notre environnement social, ecclésial et même familial. Beaucoup de comportements religieux n’existent plus. La membrane de sécurité qui nous séparait de la crise écologique s’est brisée. Nous sommes tous menacés d’une crise humanitaire en cours. Dans nos bulles quelque peu protectrices, il fait nuit. Mais la soif de Dieu, qui est une dimension essentielle de notre nature humaine, est toujours là, qu’elle nous tenaille ou non. Alors, nous pouvons faire nôtre le cri adressé à Dieu par le prophète et poète Isaïe : « Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais ».

          La parabole que raconte Jésus à ses disciples s’applique aussi à nous. Nous faisons l’expérience de Dieu comme d’un absent. Il est parti et il fait nuit. Tant de choses peuvent nous endormir. La recommandation est non seulement de rester éveillés et de faire toutes les tâches qu’il nous a laissées, à commencer par celle de construire un monde meilleur où tous puissent vraiment vivre, mais c’est aussi la recommandation de « veiller », d’être vigilants, afin de ne pas manquer la grâce et la joie de sa présence lorsqu’il reviendra.  Et c’est de nuit, dans notre nuit qu’il reviendra ; non pas dans un paradis ensoleillé créé par nos rêves.

          Et, paradoxalement, l’aujourd’hui de Dieu c’est cette nuit où nous vivons sans cesse et où nous devons être toujours éveillés et dans l’attente.

          Il suffit de parcourir ne fût-ce que la première page des journaux pour voir que notre monde s’enfonce dans une nouvelle nuit : Tant de violences folles ! Tant de destructions de vies humaines et de réalisations humaines ! Tant de course au pouvoir et à l’argent, au mépris des petits et des pauvres.  Les cieux qu’il faut demander à Dieu de déchirer c’est la membrane de cette bulle de malheur ! C’est aussi la membrane d’isolement et d’égoïsme dans laquelle nous pouvons avoir essayé de protéger nos coeurs et nos vies individuelles. – « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ».

          Le Temps de l’Avent que nous débutons aujourd’hui est une invitation à laisser jaillir en chacun de nos cœurs, dans nos familles, dans notre Société, dans l’Église, la soif de Dieu. Une soif qui ne doit pas être une béate attente, mais un engagement dans l’accomplissement de toutes les tâches que nous a laissés le Dieu qui semble nous avoir quittés mais qui revient sans cesse à nous si nous voulons bien le recevoir. Nous ne savons ni le jour ni l’heure ; et il est bien qu’il en soit ainsi.

Armand Veilleux