13 décembre 2020 -- 3ème dimanche de l’Avent « B »
Is 61,1-2a.10-11; 1 Th 5,16-24; Jn 1,6-8.19-28
Homélie
Même si, au cours de la présente année liturgique, nous utilisons normalement l'Évangile de Marc, la lecture d'Évangile d'aujourd'hui est tirée de celui de Jean, et plus précisément du Prologue même de cet Évangile. Dans ce grandiose Prologue Jean établit d'emblée la tension et même la lutte entre les ténèbres et la lumière; entre la Lumière venue en ce monde et les ténèbres qui ne l'ont point reçue. Et il enchaîne tout de suite : "Il y eut un homme, envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint en témoin, pour rendre témoignage á la lumière..." Or son témoignage n'a pas été reçu. Ce fut là la première manifestation de la lutte des ténèbres contre la Lumière -- lutte qui nous mènera jusqu'à la mort de Jésus au moment de laquelle les ténèbres recouvriront la terre, en attendant la lumière fulgurante de la résurrection.
Arrêtons-nous un peu au contexte religieux, social et même géographique dans lequel se situe la scène racontée par Jean. Il nous dit que "les Juifs lui envoyèrent (à Jean) de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : 'Qui es-tu?'". Dans l'Évangile de Jean, l'expression "les Juifs" désigne toujours l'autorité politico-religieuse suprême du temple de Jérusalem. Or la légitimité de cette autorité n'était pas reconnue par tous. Le mouvement des Esséniens était né un siècle et demi plus tôt, au moment où Jonathan, le frère de Judas Macchabée s'était fait nommer grand-prêtre et que son frère Judas était devenu gouverneur de Judée sans qu'ils ne furent ni de famille sacerdotale ni de famille royale. Les plus fervents parmi les "pauvres de Yahvé" revenus de l'exil n'avaient pas accepté cette compromission des Hasmonéens avec le pouvoir étranger des Séleucides et s'étaient retirés au désert de Juda, dans la région de Jéricho, pour y attendre la venue du Messie, rejetant en même temps la légitimité du Grand-prêtre et de la liturgie du Temple.
Or, Jean prêche un baptême de conversion, précisément à cet endroit, à proximité de Qumrân. Il y avait de quoi inquiéter les autorités en place à Jérusalem. Elles envoient donc des émissaires s'informer, afin de bien savoir qui est cet homme étrange qui prêche de cette façon. La lutte des ténèbres contre la lumière est déjà commencée.
Parce que Jean est le témoin fidèle de la Lumière, tout en lui est lumière. Il sait qui il est. Il sait surtout qui il n'est pas. Ne nous arrive-t-il pas de dire de quelqu'un (et il se peut que d'autres le disent de nous) : "il se prend pour un autre"? ou encore "mais pour qui se prend-il?". Eh bien! Jean ne se prend pas pour un autre. Il ne se présente ni comme le Messie, ni comme un prophète. Il n'est qu'une voix laissant passer le message d'un Autre et surtout préparant la venue d'un Autre. Il n'y a probablement pas dans toute la Bible d'exemple d'homme plus humble et plus libre que Jean-Baptiste.
Son message n'est pas de tout repos. Celui qu'il annonce est venu apporter le feu sur la terre. Il baptisera dans l'Esprit et le feu -- le feu qui détruit les scories, qui purifie, qui sanctifie et transforme.
Jean, ils l'ont tué. Les ténèbres se sont efforcées d'éteindre la Lumière qu'il avait annoncée. Jésus ils l'ont tué aussi. C'est à nous, les disciples de Jésus, qu'il appartient aujourd'hui d'être les témoins de la Lumière dans ce monde où se continue toujours la lutte eschatologique entre le royaume des ténèbres et celui de la Lumière. Mais suivons l'exemple de Jean. Ne nous prenons pas pour d'autres. Ne pensons pas que nous sommes meilleurs que les autres parce que nous sommes Chrétiens. Nous ne sommes pas la Lumière; nous n'en sommes que les témoins. C'est là d'ailleurs l'unique privilège que nous ayons. Celui -- très exigeant -- d'avoir été choisis pour être les témoins de la Lumière.
Et toute la Liturgie de ce dimanche nous invite à nous réjouir de la victoire eschatologique de la Lumière sur les ténèbres.
Armand Veilleux