10 janvier 2020 -- Fête du Baptême du Seigneur

Is 55,1-11; 1 Jn 5,1-9; Mc 1,7-11

Homélie 

          Nous célébrons aujourd'hui la fête du Baptême du Seigneur, avec laquelle nous concluons le Temps de Noël, et nous commencerons demain ce que nous appelons le "Temps ordinaire".  Durant tous les dimanches de ce Temps ordinaire, nous lirons, cette année, l'Évangile selon Marc qui s'ouvre par la prédication de Jean-Baptiste (un texte que nous avons lu le second dimanche de l'Avent) et par le récit du baptême de Jésus que nous lisons aujourd'hui.

 

          Ce récit est d'une extrême simplicité.  Tous les éléments non essentiels sont laissés de côté. Seul est important le fait que Jésus vient de Nazareth en Galilée et est baptisé par Jean.  Marc ne s'attarde pas sur le pourquoi et le comment.  Jésus est identifié, par la mention du village d'où il vient, comme un homme bien déterminé, historique.  Et sur cet homme historique ont été prononcés par le Père ces mots jamais entendus auparavant : "Tu es mon fils bien-aimé !"  De plus, cette scène de révélation est présentée en utilisant un symbole qui revient plus d’une fois dans l'Ancien Testament : l'ouverture des cieux.  En sortant des eaux où il a été plongé par Jean, Jésus vit les cieux s'entrouvrir -- littéralement, "se déchirer" -- ce qui est clairement une référence au texte d'Isaïe 63,19 que nous avons entendu dans la liturgie de l'Avent:  "Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais!"  La descente de l'Esprit sur Jésus est une réponse à cette prière. Toute cette atmosphère d’amour et de tendresse contraste avec le caractère abrupte du style de vie et de la prédication de Jean le Baptiste ("Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine?” disait-il aux Pharisiens et aux Sadducéens).  .

          À partir du moment où Jésus, le Fils de Dieu, est descendu dans l’eau du Jourdain avec tous les pécheurs qui venaient faire pénitence, et qu’il assumait ainsi toute notre condition humaine, les cieux – qui représentent la demeure de Dieu – sont ouverts et resteront ouverts.  Désormais une communication ininterrompue entre le ciel et la terre est possible.  Une relation d’amour entre le Père et tous ceux qui ont reçu l’Esprit de son Fils bien-aimé peut se réaliser.  Non seulement la prière continuelle mais l’union contemplative devient non seulement une réelle possibilité, mais une vocation pour chacun de nous.

          Au début de la création (Gen 1,2) le Souffle de Dieu planait sur les eaux et en les agitant en faisait jaillir la vie.  C’est le même Souffle de Dieu qui est descendu sur Jésus dans les eaux du Jourdain, tout comme il était descendu sur Marie pour en faire la Mère de Dieu.  Ce même Souffle, ce même Esprit est descendu sur chacun de nous le jour de notre baptême.  Il nous a alors donné la mission d’apporter la paix, la bonté, la compassion, l’amour dans un monde toujours si rempli de violence et de revanche, d’attaques et de contre-attaques.

          La prière – que ce soit une prière d’adoration, de demande ou de remerciement – est une activité qui déchire le voile séparant le monde créé de son créateur, qui ouvre une brèche dans le mur qui sépare le temps de l’éternité.  Nous vivons dans le temps où il y a un hier, un aujourd’hui et un demain.  Dieu vit dans un éternel présent.  Par la prière qui nous met en communion avec Dieu, nous pénétrons dans cet éternel présent de Dieu.  Cela est possible parce que lui-même a fait le chemin inverse.  Le Fils de Dieu s’est fait l’un des nôtres.  Il est venu dans le temps et dans l’espace.  Et lorsqu’il s’est mis à prier, le voile entre le temps et l’éternité, entre l’espace des hommes et l’omniprésence de Dieu, s’est déchiré et la voix du Père qui, de toute éternité, engendre son Fils, a pu dire, dans le temps de notre histoire : « aujourd’hui »,  oui, « aujourd’hui, je t’ai engendré ». 

          Cette voix du Père accompagne la descente visible de l’Esprit-Saint sur Jésus.  Lorsque nous nous mettons en prière, c’est-à-dire lorsque nous nous ouvrons au don de la prière, le ciel s’ouvre et l’Esprit du Père et de Jésus descend sur nous pour prier en nous, nous rendant capable de dire : « Abba, Père », et, alors, chaque fois, la voix du Père nous dit à nous aussi, « tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré ».  Nous devenons fils adoptifs dans le Fils bien-aimé, le premier-né d’une multitude de frères et de soeurs.  C’est le baptême dans l’Esprit et le feu qu’annonçait Jean le Baptiste.  Baptême de feu car il brûle en nous tout ce qui est étranger à cette communion ou y fait obstacle.

          Nous pouvons alors comprendre l’enseignement des grands théologiens de l’époque patristique et du Moyen Âge qui voyaient dans la liturgie d’ici-bas une participation à la liturgie céleste.  Tous les bienheureux qui sont passés de la vie présente à la vie éternelle louent sans cesse Dieu dans son éternel aujourd’hui.  Nos liturgies et nos offices d’ici-bas, malgré souvent leur pauvreté et même malgré nos distractions, provoquent cette déchirure qui fait s’entrouvrir le ciel et nous permet pour un instant d’entrer dans ce même aujourd’hui de Dieu où tout est présent. Alors notre liturgie d’ici-bas devient tout à fait contemporaine de la liturgie céleste. 

Armand VEILLEUX