Homélie pour la Vigile pascale 2021
L’amour de Dieu au coeur de l’histoire
La longue série de lectures que nous venons d’entendre nous a brossé un tableau rapide de toute l’Histoire du Salut. À l’origine et au coeur de cette histoire, comme à sa conclusion, se trouve l’amour gratuit de Dieu. C’est par amour qu’il a créé l’univers, c’est par amour qu’il a accompagné l’homme dans son histoire. C’est par amour qu’il s’est incarné, qu’il est mort et ressuscité.
Malheureusement, l’humanité, depuis plusieurs siècles, a développé une vision anthropocentrique de l’histoire – une vision qui met l’homme au coeur de l’histoire et qui le considère maître et seigneur de tout le cosmos. Cette vision est commune à une certaine forme de théologie chrétienne et à une certaine pensée laïque qui, étant postchrétienne, s’enracine – parfois sans le savoir -- dans cette approche chrétienne d’une certaine époque. Une théologie de l’histoire du salut mettait l’homme – et plus spécifiquement l’homme pécheur – au coeur de cette histoire. Si bien que les théologiens scholastiques se posaient la question académique : « Si l’homme n’avait pas péché Dieu se serait-il incarné ? ».
Cette vision de l’humanité a conduit à l’exploitation de la nature, à la conquête de nouvelles terres, et donc à l’exploitation d’autres peuples. Elle a conduit à l’exploitation de la terre, de l’eau, du vent, de tous les éléments provenant des entrailles de la mère terre, et de la modification de ces éléments. Et les gigantesques problèmes écologiques actuels sont le résultat final de la rupture de l’harmonie entre les personnes et les peuples, fruit de cette approche anthropocentrique.
La vision grandiose que nous avons pu percevoir dans la longue liste de lectures que nous venons d’entendre est tout autre. Ce qui est au coeur, c’est l’amour de Dieu. L’auteur de la genèse, dans sa grandiose description de la création, qui est faite par étape, chacune étant décrite comme un jour, mais un jour qui a pu durer des millions d’années. Et à la fin de chaque étape Dieu vit que c’était bon. Il s’agit essentiellement d’un processus de différentiation : la lumière est séparée des ténèbres, l’eau de la terre, l’homme de la femme. De la terre et de l’eau naissent une variété de végétaux et d’êtres vivants. Toute cette variété et cette diversité sont vues comme un grande richesse.
L’homme n’est que l’une de ces créatures, apparue longtemps après toutes les autres ; mais il est créé à l’image de Dieu, en ceci qu’il est doté de connaissance et de conscience. Il peut donc vivre consciemment cette relation d’amour que Dieu a envers tout le cosmos. Les lectures suivantes sont l’histoire des relations d’amour entre lui et son créateur. L’homme ne sera pas toujours à la hauteur de cette relation mais ce qui est au coeur de cette histoire, ce n’est pas son péché, mais l’amour fidèle de Dieu.
Abraham perçoit cette relation comme une alliance et une promesse. Les prophètes la décrivent comme la relation d’amour entre la femme et son époux et rassurent l’homme en lui expliquant que, même lorsqu’il est infidèle, Dieu demeure fidèle. Et, à travers toute cette relation parfois cahoteuse, Dieu communique à l’homme sa Sagesse.
L’incarnation de Dieu est l’aboutissement « normal » de cette relation. Dieu, choisissant de naître d’une femme, de croître, de mourir et de faire pénétrer dans son éternité l’humanité qu’il a assumée, montre ce à quoi l’être humain est destiné, dans son plan d’amour.
Finalement, l’être humain est bien au coeur de cette histoire ; mais non pas comme quelqu’un à qui pouvoir aurait été donné sur toute la création, ni même comme celui qui conditionnerait toute l’histoire en mobilisant des moyens extrêmes pour le sauver de la situation désastreuse dans lequel il s’est mis lui-même ; mais plutôt comme celui en qui se manifeste d’une façon particulièrement éclatante l’amour que Dieu a pour toutes ses créatures.
La foi en l’humain – qui est tout autre chose que l’approche anthropocentrique de l’univers, dont je parlais au début – n’est pas possible sans la foi en l’amour de Dieu qui donne son sens à l’existence humaine. Et cette signification de l’existence humaine est révélée dans toute sa splendeur dans la résurrection du Fils de l’Homme.
Armand VEILLEUX