7 juin 2021 lundi de la 10ème semaine du Temps Ordinaire
2 Cor 1, 1-7 ; Mt 5,1-12a
Homélie
Au moment où les Évangiles ont été rédigés, c’est-à-dire lorsque les souvenirs de ceux qui avaient connu Jésus et avaient été ses disciples, furent recueillis par les quatre Évangélistes que nous connaissons – Matthieu, Marc, Luc et Jean – après que ces écrits eurent circulé d’abord oralement puis en petits récits écrits détachés, les premiers chrétiens étaient déjà en proie aux persécutions. On comprend donc l’importance qu’est donnée dans ces Évangiles à la dernière béatitude : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice... », ainsi que l’élaboration qui en est faite : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute... réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse... ». Il s’agissait alors des tensions vécues entre les autorités de la religion juive traditionnelle et le christianisme naissant qui était perçu comme une nouvelle secte et une menace.
La situation était la même -- seulement plus difficile et dramatique -- au moment où Jean, le Voyant de Patmos, écrivait ce livre d’une si grande beauté poétique, tout fait de symboles qui nous sont parfois difficiles à comprendre, qu’on appelle l’Apocalypse. À ce moment-là les premiers Chrétiens étaient durement persécutés par les empereurs romains qui voyaient dans ce petit groupe de Chrétiens un danger pour la religion traditionnelle de l’Empire romain.
Et pourtant, dans chaque cas, ce qui est prôné est non pas une réponse violente à la violence subie, mais une ouverture du coeur et un appel à la communion universelle. Dans le passage évangélique qu’on appelle les «Béatitudes», Jésus ne dit pas « Bienheureux, vous qui êtes mes disciples », ou «Bienheureux, vous qui appartenez à tel groupe». Il proclame bienheureux tous ceux qui ont un coeur de pauvre, qui ne sont pas repliés sur eux-mêmes et sur leurs prétendues richesses, tous ceux qui sont doux et miséricordieux, qui savent pleurer sur la souffrance des autres, qui ont soif de justice et qui sont des artisans de paix, même s’ils sont persécutés pour adopter une telle attitude ouverte à tous.
Ces paroles de Jésus sont des paroles surprenantes. Elles n’ont pas grand-chose de « religieux ». Dans ce texte, il n’y est pas question de religion, même pas de prière. Ces béatitudes se réfèrent à la vie concrète – une vie où il y a des gens qui souffrent et qui sont consolés, de gens soumis à leur sort et qui finalement sont comblés, des gens affamés et assoiffés de justice, des personnes qui ont le coeur pur et qui travaillent pour instaurer la paix en ce monde, mais aussi des gens pauvres et des persécutés. Un monde, somme toute, pas tellement différent du nôtre. Et, à ce monde, Jésus offre le bonheur. Un bonheur qui est à la disposition de tous, si au lieu de courir après les idoles de l’argent et du pouvoir, on opte pour le règne de Dieu. Dans ce passage, Jésus offre une clé pour comprendre le sens d’une vie humaine tout ordinaire faite de difficultés et de luttes comme de pureté du coeur et de beauté.
Le monde dans lequel nous vivons de nos jours n’est pas tellement différent, au fond, de celui de l’époque où furent écrits les Évangiles et le livre de l’Apocalypse ou encore les lettres de saint Jean. C’est un monde où, malgré les développements sociaux et techniques hérités des révolutions et des évolutions des derniers siècles, il y a toujours un nombre effarant de personnes qui souffrent de la misère et de la faim, qui sont persécutés et chassés de leurs maisons et de leurs pays, qui sont sans travail et dépouillés de leur dignité. Un monde où il y a des attaques terroristes faites souvent par des jeunes qui se sentent eux-mêmes privés d’avenir et de dignité.
Comment donner du sens à ce monde ? Où trouver des clés d’interprétation ?
Il y a quelques années, sous l’impulsion du Pape François une centaine de Mouvements Populaires furent convoqués à Rome par le Conseil Pontifical Justice et Paix et l’Académie Pontificale des Sciences Sociales. La liste de ces Mouvements Populaires réunis à Rome était impressionnante. On y trouvait les travailleurs ruraux sans terre du Brésil, les vendeurs de rue du Kenya, les collecteurs de rebus de l’Afrique du Sud, les sans-logis des Philippines, les recycleurs de déchets de bidonvilles de plusieurs parties du monde. À toutes ces personnes, dans une allocution pleine d’une chaleureuse humanité, François a donné la clé du sens de ce qu’ils vivent. Il disait à ces gens du peuple : « Votre rencontre ne répond pas à une idéologie. Vous ne travaillez pas avec des idées. Vous travaillez avec la réalité... Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous avez l’odeur du quartier, du peuple, de la lutte. Nous voulons que votre voix soit écoutée... » Et pourtant il n’appelait pas à la violence, mais à la solidarité. Avec passion, disait-il, mais sans violence. Et le Pape François concluait son discours :
« Chers frères et soeurs, continuez votre lutte. Vous nous faites du bien à nous tous. C’est comme une bénédiction d’humanité ».
« Une bénédiction d’humanité ». On ne pourrait pas trouver une meilleure définition de ce qu’est la sainteté.
Armand Veilleux