27 octobre 2021 – mercredi de la 30ème sem.

Rm 8, 26-30; Lc 13, 22-30;

H O M É L I E

           Si vous le voulez-bien, nous allons nous attacher, dans un premier temps, à bien analyser le sens de plusieurs expressions de ce passage de l’Évangile de Luc, pour voir, dans un deuxième temps, comment ce message s’applique aussi à nous.

 

           Luc situe ce récit dans la montée de Jésus vers Jérusalem. Il ne se soucie pas encore de souligner l’importance de Jérusalem. Il insiste plutôt sur le fait que Jésus est en route. Jésus n’a pas de lieu où demeurer ; il n’est plus bienvenu dans les synagogues.  Il prêche donc son message sur les places publiques dans les villes et les villages.

C’est à ce moment-là que quelqu’un lui pose la question sur le nombre des élus. Ici, malheureusement, la traduction française que nous avons dans nos missels actuels est une interprétation qui modifie le sens du texte.  La question, telle que nous l’avons lue est : « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à se sauver ? » Évidemment, on comprend alors cette question dans une perspective future, de salut éternel.  « Est-ce qu’il y en aura beaucoup qui iront au ciel ? ».  Mais ce n’est pas le sens premier du texte.  Le texte grec de Luc, traduit littéralement, dit simplement : « Sont-il peu nombreux ceux qui sont sauvés (oi sôzómenoi)? » La question est au présent et non au futur.

           Dans l’Évangile de Luc, « être sauvé » veut toujours dire « faire partie de la communauté de Jésus ». Ainsi, par exemple, dans les Actes des Apôtres, Luc dit que « Le Seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux qui étaient sauvés (tous sôzoménous» (Actes 2,47). La question fondamentale est celle de savoir si le salut est réservé à un petit groupe de privilégiés, en l’occurrence, le Peuple d’Israël, ou est ouvert au grand nombre.

           Comme il lui arrive souvent, Jésus répond à autre chose que ce qu’on lui demandait.  La question portait sur le « combien » ; sa réponse portera sur le « comment ». Le sens global de la réponse de Jésus est qu’avec son propre passage par la mort et la résurrection tout sera changé, C’est ce qui est signifié symboliquement par l’expression « Quand le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte ». Désormais Juifs et Païens sont sur un pied d’égalité. Le fait d’être sauvé (dès ici-bas et pour l’éternité) ne repose pas sur l’appartenance à une nation privilégiée, à un groupe ou à une institution.  Cela dépend de la façon dont chacun vit.

           La réponse de Jésus commence par le mot « efforcez-vous ». – « efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ».  Malheureusement l’expression « s’efforcer » a perdu, dans notre langage courant, toute sa force.  On dit à quelqu’un « efforce-toi d’arriver en temps », « efforce-toi de bien comprendre », « efforce-toi d’être gentil ». Cela n’implique pas, en général, beaucoup d’effort.  En réalité l’expression utilisée par Luc (agonízesthe) est beaucoup plus forte. On pourrait traduire : « luttez, faites-vous violence, pour forcer votre chemin à travers la porte étroite ». Il s’agit de se faire violence à soi-même, comme dans l’autre parole de Jésus qui dit que le royaume des cieux souffre violence et seuls les violents le conquièrent.

           Plusieurs, dit Jésus, recevront du Maître de la maison, c’est-à-dire de lui-même, le Ressuscité (quand il « se sera levé »), la réponse « Je ne sais pas d’où vous êtes ». La raison de cette dure réponse est explicitée : « Éloignez-vous de moi, vous qui pratiquez l’injustice » (Il faut, en effet traduire, avec la Bible de Jérusalem et toutes les meilleures traductions « vous qui pratiquez l’injustice » et non pas, comme le fait le lectionnaire liturgique « vous qui pratiquez le mal »). La condition essentielle pour appartenir à la communauté de Jésus est de pratiquer l’amour et la justice à l’égard du prochain.  Quiconque pratique l’injustice (dans le sens où l’avaient comprise tous les grands prophètes d’Israël), se coupe de la communauté des croyants et donc se coupe du Christ.  C’est exactement le même message que dans le chapitre 25 de Matthieu « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger... ou... j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ».

           La leçon pour chacun de nous est claire et peut se résumer en quelques mots.  Nous sommes des privilégiés. Nous avons reçu le don de la foi ; nous appartenons à l’Église ; certains d’entre nous appartenons à une communauté monastique ; nous sommes tous réunis ici dans une grande communauté liturgique pour célébrer cette Eucharistie.  Ce sont là autant de dons que nous avons reçus, autant de moyens qui nous sont donnés pour vivre selon l’Évangile de Jésus.  Mais rien de cela nous assure le salut.  La condition pour être sauvés -- c’est-à-dire pour faire partie en toute vérité de la « communauté de Jésus » -- c’est de « pratiquer la justice », c’est-à-dire conformer l’ensemble de notre vie aux deux commandements qui n’en font qu’un : celui de l’amour de Dieu et du prochain.

Armand Veilleux