5 décembre 2021 - 2ème dimanche de l'Avent "C"

Ba 5, 1-9; Ph 1, 4...11; Lc 3, 1-6

H O M É L I E

        Saint Luc, dès le début de son Évangile met en présence, d'une part les puissants de ce monde et d'autre part les faibles et les petits.  La longue liste de personnages au début du texte que nous venons de lire, n'est pas simple démonstration d'érudition.  Elle situe Jésus face aux puissances:  celle de l'empire romain, représenté par l'empereur Tibère et son gouverneur en Judée, Ponce Pilate;  celle du prince fantoche de Galilée, Hérode et son frère Philippe, et celle des chefs religieux du peuple juif, Anne et Caïphe.  Or ce seront les trois mêmes puissances qui comploteront à la fin pour faire mourir Jésus

 

        Du côté des petits, il y a Jean le Baptiste, qui ne vit pas dans des palais royaux, mais au désert.  Ce désert symbolise les quarante ans au désert du Peuple choisi; et pour décrire la mission de Jean, Luc utilise la prophétie d'Isaïe annonçant la fin de l'exil à Babylone.

        Jean prêchait dans le désert de Juda, près de Jéricho, pas très loin de Qumrân.  Aller de Jérusalem à Jéricho par avion se ferait aujourd'hui en quelques minutes.  Mais y aller par la route, du temps de Jésus, était toute une entreprise.  Il fallait descendre plusieurs centaines de mètres, depuis l'altitude de Jérusalem jusqu'au niveau de la Mère Morte, utilisant des sentiers sinueux à travers les montagnes majestueuses du désert de Juda, impressionnantes par leur nudité, et dangereuses puisque chaque courbe constituait un endroit idéal pour une embuscade.  Il n'est donc pas surprenant que lorsque Jean veut appeler le peuple à la conversion, les mots qui lui viennent à la mémoire sont ceux du prophète Isaïe : "Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route.  Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies;  et tout homme verra le salut de Dieu." Ce langage imagé parlait sans doute à ses auditeurs plus qu'à nous.

        Lorsque nous lisons aujourd'hui ces paroles de Jean, nous leur donnons facilement un sens moral, à savoir, que nous devons redresser nos chemins, que nous devons corriger notre conduite, que nous devons cesser de faire le mal et nous mettre à faire le bien, etc.  Tout cela est évidemment bon;  mais je ne crois pas que ce soit ce que Jean voulait dire.  Jean utilisait certainement ce texte dans le sens qu'il avait dans son contexte original, qui était la description de l'époux courant à travers les collines, pour venir rejoindre sa bien-aimée, volant en quelque sorte au dessus des vallées et des collines.

        D'ailleurs les premières lectures de la messe nous offrent une saveur toute terrestre.  Elles nous rappellent que notre foi n'est pas une croyance désincarnée en un Dieu lointain.  Elle est une foi incarnée, parce que Dieu a pris chair, qu'il a vécu neuf mois dans le sein de Marie et a commencé son ministère quelque trente ans plus tard à un moment bien précis et bien identifiable de l'histoire, dans un endroit particulier.

        Les hommes et les femmes d'aujourd'hui sont confrontés à deux tentations:  celle de se perdre dans la jouissance de la création, au point d'en devenir esclaves et d'oublier Dieu;  et celle de vouloir se perdre en Dieu dans une union de type fusionnel, en court-circuitant la création.  Céder à la première tentation est folie;  céder à la seconde est illusion.

        La Lettre aux Philippiens, si riche dans sa proclamation de l'humanité de Dieu, nous enseigne la véritable voie à suivre, qui est celle de l'amour – l'amour non seulement du prochain, mais de toute la création:  "Dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance qui vous feront discerner ce qui est plus important."

        Comme l'époux du Livre d'Isaïe courant à la rencontre de sa bien-aimée, ses pieds effleurant à peine la pointe des montagnes, lançons-nous à la rencontre du Christ qui vient à nous, avec toute la fraîcheur de coeurs aimants et convertis.

Armand VEILLEUX