26 décembre 2021 – Fête de la Sainte Famille

1S 1, 20...28; 1 Jn 3, 1...24; Lc 2, 41-52

H O M É L I E

          Étant donné que nous célébrons aujourd'hui la Fête de la Sainte Famille, il est tentant de chercher dans ce récit de l'escapade de Jésus au Temple, lors de sa montée à Jérusalem avec ses parents pour la Pâques, à l'âge de douze ans, des leçons sur la vie familiale de Jésus, Marie et Joseph.  Mais ce faisant, nous introduirions dans ce beau récit des préoccupations qui n'étaient sans doute pas celles de Luc.  Nous l'avons vu plus d'une fois, les deux premiers chapitres de l'Évangile de Luc utilisent un langage hautement symbolique et théologique.  Il n'a aucune prétention à nous informer sur l'enfance de Jésus, dont il ne sait probablement rien lui-même.  Il nous annonce plutôt les grands thèmes de son évangile qui commence avec le baptême de Jésus dans le Jourdain par son cousin Jean-Baptiste.

 

          Dans les deux chapitres d'introduction à ses deux Livres (son Évangile et les Actes des Apôtres), Luc fait venir Jésus deux fois au Temple de Jérusalem avec ses parents.  Chaque fois Jésus retourne ensuite à Nazareth où il continue de croître en âge et en sagesse, devant Dieu et devant les hommes.  De sa vie à Nazareth Luc ne rapporte rien, sinon qu'il était soumis à ses parents.

          Ces deux montées au Temple de Jérusalem préparent déjà la grande montée définitive vers Jérusalem à la fin de la vie de Jésus (Luc 19, 45ss).  Il y a beaucoup d'éléments communs à ces trois "montées".  Chaque fois, on vient au Temple par respect pour une prescription de la Loi.  La première fois, pour la présentation du premier-né, et les deux autres fois pour la célébration annuelle de la Pâque.  Chaque fois il y a des paroles qui provoquent l'étonnement.  Lors de la présentation, "le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce que [Siméon] disait de lui"; lors de la deuxième montée, tous ceux qui entendent le jeune Jésus discuter avec les docteurs de la loi sont dans l'étonnement et ses parents ne comprennent pas sa réponse lorsqu'il leur dit qu'il doit être aux choses de son Père; enfin, lors de la dernière prédication de Jésus au Temple, personne ne le comprend lorsqu'il annonce la destruction de ce Temple.  Les trois jours pendant lesquels Marie et Joseph cherchent Jésus annoncent déjà symboliquement les trois jours au tombeau.  Marie ne comprend pas, tout comme elle ne comprendra pas au pied de la croix, mais elle garde tout dans son cœur, y compris l'annonce faite par Syméon lors de la première montée au Temple.

          La famille est un lieu de passage.  C'est à travers elle qu'on pénètre dans le monde, mais il faut en sortir un jour pour prendre sa propre place dans la société.  De même l'appartenance à un peuple ou à une nation, devrait être l'introduction à la grande famille humaine plutôt que de conduire à un nationalisme étroit et aveugle.  Des moments de rupture sont nécessaires à la croissance, tout comme la sortie du sein maternel est nécessaire à la naissance.  Le récit de l'Évangile d'aujourd'hui décrit quelques-unes de ces ruptures et en annonce de plus radicales.  Jésus qui était venu une première fois au Temple comme petit enfant, y réapparaît cette fois dans une attitude d'autorité.  Face aux docteurs de la Loi il manifeste son intelligence; et déjà se laisse entrevoir la lutte à mort que lui livreront ces mêmes docteurs lorsqu'ils commenceront à le percevoir comme une menace.  Et pourquoi sera-t-il pour eux une menace ? – Simplement parce que tout ce qu'il enseignera sur son "Père", bousculera leur enseignement sur Dieu et rendra caduc leur univers "religieux".   La lutte à finir est commencée dès ce jour. 

          De cette lutte Jésus sera le perdant, car il sera mis à mort.  Perdant, mais seulement en apparence;  car il y aura ces "trois jours" déjà annoncés eux aussi, au terme desquels se réalisera en plénitude la réponse de Jésus à Marie: "C'est chez mon Père que je dois être". 

          Une fois mis en place tous les personnages du drame, Luc fait revenir Jésus à Nazareth avec Marie et Joseph, pour une vie sans histoire durant les quelque vingt années suivantes, au cours desquelles "il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes".

          N'est-ce pas là le mystère, et souvent le drame, de toute famille humaine : voir dégager ses membres les uns après les autres, pour vivre chacun son mystère propre et prendre sa place dans la grande communauté humaine ?

Armand VEILLEUX