6 mars 2022 - 1er dimanche de Carême "C"
Deut 26, 4-10; Rom 10, 8-13; Luc 4, 1-13
 

 

H O M É L I E

           Durant la nuit de Noël 1993, un groupe des « frères de la montagne » se présenta au monastère de Tibhirine, en Algérie, et leur chef Saya Attiya présenta trois requêtes au prieur, père Christian de Chergé, qui répondit négativement à chacune d’elles. Et lorsque Attiya lui dit que les moines n’avaient pas le choix il répondit « Oui, nous avons le choix ». Attiya se retira... jusqu’au moment fixé, pourrait-on dire. Et l’on connaît la suite.

           Cet événement, comme beaucoup d’événements dans nos propre vies – événements moins tragiques en ce qui nous concerne, Dieu merci ! – nous aide à comprendre l’Évangile d’aujourd’hui. Ce sont des événements où l’on est mis à l’épreuve, et où une décision engageant toute notre responsabilité doit être prise.

           Nous sommes facilement introduits en erreur par l’utilisation du mot « tentation » et du verbe « tenter » dans la traduction de ce passage d’Évangile.  Pour nous, lorsque nous parlons de « tentation », nous pensons tout de suite à quelque chose qui nous porte à faire le mal.  Ce n’est pas le sens du mot grec utilisé par les auteurs bibliques.  Le substantif grec peirasmós, et le verbe correspondant (peirazein) reviennent très souvent aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau.  Le sens est plutôt de celui de « mise à l’épreuve » que d’appel à faire le mal.

           Pour comprendre ce récit que nous venons de lire, tel qu’il se trouve au début de l’Évangile de Luc, il faut tenir compte d’une petite phrase que Luc met dans la bouche de Jésus à la fin de son Évangile, durant son dernier repas avec ses Apôtres.  Il leur dit :  "Vous êtes, vous, ceux qui avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. » (Luc 22:28). Les Apôtres s’étaient en effet retrouvés avec Jésus tout au long de sa vie publique, à chaque tournant important de sa vie, par exemple lorsque tout le monde apportait ses malades pour les faire guérir dès les premiers jours de son ministère à Capharnaüm, où encore lorsque les foules avaient voulu le faire roi. Chaque fois il s’était retiré dans la solitude pour faire et refaire le choix du type de Messie qu’il devait être, faire le choix de la volonté de son Père. Et chaque fois les disciples les plus proches étaient venus le rejoindre.

           Mais dans le récit de l’Évangile d’aujourd’hui, qui est un récit hautement symbolique, situé au début de la vie publique de Jésus, tout de suite après son baptême, c’est l’épreuve globale du Messie qui est dessinée. Nous sommes à un tournant radical dans la vie de Jésus. De sa lointaine Galilée il est monté en Judée. Avec les foules il est descendu sur les bords du Jourdain pour se faire baptiser par Jean. L’Esprit est descendu sur lui et la voix du Père lui a dit : « Tu es mon fils bien-aimé ». Dès ce moment il entre dans un désert. Tout le sens de sa vie, c’est-à-dire toute la direction vers laquelle elle tend est sa mission de Messie : la mission de faire connaître et de rendre présent sur terre le règne de Dieu, son Père. Tout le reste est distraction, tout le reste pourrait le faire dévier de sa route. Tout le reste est tentation. À chaque suggestion de faire autrement il affirme qu’il a le choix et son choix est de faire la volonté de son Père.

          

Armand VEILLEUX