20 août 2022, Fête de saint Bernard

Sap 7,7-10.15-16 ; Phil 3,17 - 4,1 ; Io 17,20-26

H O M É L I E

            Depuis déjà plus d’un siècle, nous célébrons saint Bernard comme Docteur de l’Église.  Cependant, si Bernard est important pour nous, moines, c’est avant tout en tant que moine et abbé.  Ce que nous attendons de lui n’est pas la réponse d’un grand maître à nos problèmes, mais plutôt les questions et les défis posés par un grand maître spirituel, qui était avant tout moine, et qui l’est demeuré à travers toutes les vicissitudes de sa vie.

            Il a été un homme de son temps.  David Knowles, excellent historien, l’a décrit comme « un de cette petite classe de grands hommes dont les talents et les dons ont trouvé un contexte tout à fait adapté ».  Durant quarante ans il a fait de son abbaye de Clairvaux le centre spirituel de l’Europe.  L’Ordre cistercien, tout comme la spiritualité de l’Europe occidentale ont été marqués par son influence d’une façon comparable à celle d’Augustin d’Hippone ou d’Anselme de Canterbury.

            Il entra en 1113 dans la communauté de Cîteaux, peu après la fondation de celle-ci.  Deux ans plus tard, à l’âge de 25 ans, il était abbé fondateur de Clairvaux et le resta jusqu’à sa mort en 1153, à l’âge de 63 ans.  Il passa une grande partie de son temps en dehors de son monastère, pour s’occuper des affaires de l’Église et de l’État, retournant à Clairvaux pour de brèves périodes.  Mais lorsqu’il y était, il était totalement présent.  Et lorsqu’il était à l’extérieur, il demeurait moine à 100%, portant ses frères et ses amis dans sa prière et son affection.

            Bernard était un homme unifié – caractéristique essentielle d’un vrai moine.  Pour cette raison il pouvait orienter vers une profonde unité tout ce qu’il touchait.  Homme de Dieu, amoureux de Dieu, il ne séparait jamais son amour de Dieu de l’affection des êtres humains avec qui il vivait ou qu’il rencontrait.  C’est Dieu lui-même qui le renvoyait aux hommes, et c’était l’expérience de sa propre humanité et sa compassion pour les hommes qui stimulait sa prière comme son service.  Il n’y avait en lui aucune fausse dichotomie entre l’amour de Dieu et celui des autres.

            Il n’y avait même pas chez lui cette autre dichotomie – si fréquente -- entre action et contemplation.  Pour Bernard, comme pour tous les grands mystiques, la priorité était certainement donnée à la « prière contemplative ».  Mais une fois que cette priorité était solidement établie, Il n’y avait plus aucune quantité ou aucune intensité de service des frères qui puisse mettre en péril cette relation à Dieu.  Bien sûr, Bernard gémit parfois… peut-être plutôt d’une façon rhétorique, au sujet de toute cette activité.  Cependant, sa capacité de maintenir une prière contemplative au sein d’une activité au rythme débordant était évidente.

            Si Bernard a fait de Clairvaux le centre de toute l’Église et de toute la Société, c’est qu’il était conscient du fait que Clairvaux n’était qu’une petite partie d’un tout beaucoup plus large.  Il était préoccupé de tout l’Ordre cistercien, de tout l’Ordre monastique et de toute l’Église.  Et cette relation donna à Clairvaux même une vie extraordinaire.  Bernard était également préoccupé de la Société.  Le même amour qu’il avait mis au centre de sa propre vie, il était convaincu que tout être humain devait le vivre également : personnes mariées aussi bien que moines et évêques et même pape, rois aussi bien que mendiants.

            L’une des paroles bien connues que l’on attribue à Bernard est qu’il se demandait chaque jour : « Bernard, pourquoi es-tu venu ici ? ».  Pour nous également, moines d’aujourd’hui et de cette abbaye, la question fondamentale demeure toujours la même :  « Pourquoi sommes-nous venus au monastère ? – Pourquoi y sommes-nous restés ? ».  Peut-être pourrions-nous porter cette question dans nos cœurs tout au long de cette journée.

Armand Veilleux