2 juin 2024 – Fête du Corps et du Sang du Christ "B"
Exode 24, 3-8; Hébreux 9, 11-15; Marc 14, 12...26
H O M É L I E
Lorsque nous célébrons l’Eucharistie nous faisons mémoire du dernier repas que Jésus prit avec ses disciples, et dont nous venons de lire le récit tel qu’il nous est raconté par l ’Évangéliste Marc. Pour nous, lorsque nous faisons cette célébration, il s’agit d’un sacrement, d’un geste rituel, d’un mémorial. Mais pour Jésus et ses disciples, ce n’était pas un rituel, c’était un vrai repas. Et il est important de ne pas l’oublier, si nous voulons bien comprendre ce récit. En effet, quand Jésus dit « Ceci est mon corps », en leur offrant le pain, Il est bel et bien là, en corps et en os, devant eux, encore bien vivant.
Portons tout d’abord notre attention sur quelques mots ou quelques expressions de ce récit de saint Marc, très riches en symboles et en références bibliques, en nous attachant en quelques cas au texte original, dont les traductions liturgiques officielles laissent tomber bien des nuances. En envoyant ses disciples à la ville – ville qui n’est d’ailleurs pas nommée – Jésus leur dit qu’ils rencontreront « un homme portant une cruche d’eau ». Il leur dit de suivre cet homme, et, là où il entrera de dire au propriétaire : « Le maître te fait dire : ‘où est ma demeure où je pourrai célébrer la Pâque avec mes disciples’. » Notons qu’il ne dit pas simplement « où est la salle ? » (traduction officielle), mais bien où est « ma salle », ou mieux « mon lieu de repos ».
Les commentateurs ont fait remarquer qu’il était tout à fait invraisemblable dans la culture juive de l’époque de voir un homme porter une cruche d’eau. C’était le travail des femmes. En réalité, cet homme porteur d’eau, est une représentation symbolique de Jean-Baptiste. Ainsi Marc referme une longue boucle commencée au début de son Évangile par le récit du Baptême de Jean et la parole de ce dernier à ses propres disciples leur montrant Jésus et leur disant : « Voici l’Agneau de Dieu ; suivez-le ». Jésus est maintenant arrivé à la fin de sa course, signifiée par ce qu’il appelle « mon lieu de repos » ou « ma demeure ». Il dit alors à ses disciples de suivre cet homme, figure de Jean, à qui ils ne devront rien dire – simplement le suivre. C’est au propriétaire de la maison où il entrera, qui représente son Père, qu’ils diront que le maître demande : « Où est ma demeure ? ».
Le récit du repas, en Marc, comprend deux parties : La première, qui a été omise dans notre lecture, est celle où Jésus dit : « Un de vous va me livrer, un qui mange avec moi ». Et il ajoute « Le Fils de l’Homme s’en va selon ce qui est écrit ». Par ces mots Jésus exprime clairement l’acceptation de sa mort prochaine. Et c’est à la lumière de cette acceptation qu’il faut comprendre ce qui suit.
Jésus prend alors du pain, prononce la bénédiction, rompt le pain et le donne à ses disciples en disant, alors qu’il est encore là bien vivant devant eux : « Ceci – ceci que je tiens dans mes mains et que je dépose dans les vôtres – est mon corps. » Le corps, pour un Juif, ce n’était pas une partie du composé humain, certainement pas un corps séparé de l’âme, encore moins un corps séparé du sang qui l’anime. Le corps, c’était l’être humain dans sa totalité, avec toute son identité, y compris son histoire. En invitant ses disciples à prendre son corps, Jésus les invite à accepter sa personne, tout ce qu’il a vécu au milieu d’eux, comme leur norme de vie.
Le texte de Marc ne dit pas que les disciples mangèrent le pain.
Alors Jésus prit la coupe, prononça l’action de grâce, la fit circuler et tous en burent. Et c’est après qu’ils en eurent bu qu’il leur dit dans une phrase dont le texte grec de Marc peut s’entendre de deux façons : ou bien : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance » -- ce qui est la traduction la plus commune -- ou bien : « Ceci est le sang de mon alliance », que certains exégètes modernes préfèrent. D’une façon ou de l’autre, ce que Jésus dit à ses disciples est que, s’ils veulent vraiment accepter sa personne comme leur norme de vie, ils doivent accepter d’aller, comme lui, jusqu’au bout dans leur don. Ils doivent être prêts à donner leur vie, s’il le faut, par amour. La mort qu’il accepte par fidélité à sa mission, est l’alliance d’amour qu’il établit avec eux -- « mon alliance » -- et qui remplace l’Alliance ancienne de Dieu avec le peuple d’Israël.
De fait, tous ensemble – sauf Judas qui les a déjà quittés -- ils partirent pour le Mont des Oliviers. Tous en effet suivront Jésus dans le témoignage ultime de l’amour, au fil des années.
En célébrant l’Eucharistie en mémoire de ce que Jésus a été et a fait pour nous, non seulement nous nous engageons à le prendre comme notre modèle et notre guide, mais nous nous engageons à le suivre jusqu’au bout, comme il nous a aimés jusqu’au bout. Même si personne d’entre nous ne sait ce que signifiera concrètement ce « jusqu’au bout ».
Armand VEILLEUX