13 juin 2024 -- jeudi de la 10ème semaine du Temps Ordinaire
H O M É L I E
Cet Évangile est tiré de la section du Sermon sur la Montagne, où Jésus montre en quoi consiste le caractère tout à fait nouveau de la Loi Nouvelle. « Vous avez appris... ; moi, je vous dis... » répète-t-il à plusieurs reprises.
Il est possible que notre première impression soit que Jésus est simplement en train de faire quelques amendements à la Constitution d’Israël ou en train de réviser le Code de Droit Canon de l’Ancien Testament, comme nous amendons périodiquement notre propre législation.
Or, si nous étudions attentivement les paroles de Jésus, nous nous rendons compte qu’il exige de ses auditeurs un changement beaucoup plus radical. Il ne s’agit pas d’un changement de la loi mais de la relation à la loi – un changement qui requiert une conversion du cœur et non celle de la loi. Jésus n’instaure pas un nouveau légalisme plus exigeant que celui des Pharisiens ; Il remplace les exigences du légalisme par celles beaucoup plus grandes de l’amour. Il n’établit pas une justice nouvelle et plus rigoureuse ; Il enseigne les exigences de l’amour, qui vont bien au-delà de ce que peut demander la stricte justice.
À notre époque, nous nous sommes rendu compte que nous ne respections pas collectivement les droits de plusieurs secteurs de la société et nous avons donc publié diverses chartes affirmant les droits des femmes, par exemple, ou ceux des enfants, ou des handicapés, etc. Toute cela est important et même nécessaire. Mais aussi longtemps que nous respectons les nouveaux droits de la même façon que nous respections les anciens codes, nous vivons encore sous l’Ancien Testament, et nous risquons d’aboutir à beaucoup d’injustice.
La justice humaine consiste dans le respect des divers droits, tels qu’ils ont été établis par les conventions d’une société particulière. Ainsi, par exemple, dans une culture où l’esclavage faisait partie de la structure de la société, comme c’était le cas dans l’Empire Romain au temps du Christ et de saint Paul, la justice consistait dans l’équilibre entre les droits du propriétaire d’esclaves et ses obligations envers les esclaves qu’il possédait. Ceux-ci n’avaient aucun droit. Dans une société capitaliste, la justice consiste à respecter l’équilibre établi entre les droits des propriétaires du capital et ceux des ouvriers qui font fructifier ce capital par leur travail. Dans une société socialiste, la justice consiste dans le respect de l’équilibre établi dans cette société particulière entre les droits de l’état et ceux des individus qui en sont les membres. Dans chaque cas, l’on aboutit facilement à des formes permanentes d’oppression, même lorsqu’aucun des droits juridiques n’a été lésé.
Jésus n’essaye pas de préciser aucun de ces droits. Il nous dit plutôt : ne restez pas à ce niveau. Si la justice vous demande de donner votre manteau, donnez aussi votre chemise. Si la justice vous donne droit à exiger œil pour œil ou dent pour dent, pardonnez simplement à celui qui vous a offensé ou qui vous a nui. Si le code de comportement moral vous interdit un certain nombre de choses telles que, par exemple, de prendre la femme de votre voisin, je vous demande de surveiller même les désirs de votre cœur.
Ce nouvel enseignement de Jésus concernant la loi est une source de grande insécurité – une insécurité très salutaire. En effet, si être « bon » consiste à ne pas commettre d’adultère, à ne pas tuer, à ne pas exiger plus qu’un œil pour un œil et une dent pour une dent, à ne pas manquer la messe le dimanche... je puis facilement me sentir sûr. Je puis en effet vérifier périodiquement si je suis « bon » ou non. Et si j’ai péché, je sais exactement quand, où et comment. Cela me donne un très grand sens de sécurité. C’est la sécurité des Pharisiens. Pourtant Jésus a dit : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. »
Mais si être fidèle à l’appel de Jésus consiste dans la pureté d’intention, dans l’amour de mon ennemi ; si cela consiste à donner toujours plus qu’on me demande, à réparer la relation entre moi et mes frères lorsqu’elle est brisée – alors je vis dans cette bienheureuse et constante insécurité qui consiste dans la conscience d’être toujours appelé à quelque chose de bien plus que ce que je suis actuellement et que je suis en train de faire. Insécurité est alors synonyme de pauvreté.
C’est avec cette pauvreté de cœur, dans l’attitude d’enfants titubants encore, en train d’apprendre à marcher, que nous nous approcherons maintenant de l’autel, trouvant une sécurité très authentique, non dans notre propre justice, que nous sommes conscients de ne pas avoir, mais dans la justice de Dieu, sachant qu’il est riche en miséricorde et en compassion.
Armand Veilleux