17 juin 2024 – lundi de la 11ème semaine, année paire
Donner l’autre joue
Ce passage d’Évangile me ramène à la mémoire une scène de la vie de Mahatma Gandhi. Il s’agit d’un événement se situant vers la fin de la vie de Gandhi. L’Inde vient tout juste d’obtenir son indépendance, mais elle s’est déjà divisée en deux pays : l’Inde elle-même, un pays hindou et le Pakistan, un pays musulman ; et une guerre civile fait rage dans les principales villes entre les musulmans et les hindous. Gandhi commence alors un jeûne, décidé de ne rien manger tant que la paix ne sera pas rétablie entre les deux factions. C’est alors qu’un homme de religion hindoue vient trouver Gandhi. Il est désespéré, convaincu d’être damné pour toujours parce qu’il a tué un enfant musulman. Il l’a tué pour se venger parce que des musulmans avaient tué son propre enfant. Gandhi lui dit alors ce qu’il doit faire pour éviter la damnation. « Va, dit-il, trouve un enfant du même âge que celui que tu as perdu, adopte-le et élève-le comme ton propre enfant. Mais surtout prend bien soin de choisir un enfant musulman et de l’élever comme un bon musulman.
Même si Gandhi n’était pas chrétien, il serait difficile de trouver une application plus authentique du message de Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui.
Après plus de deux mille ans de chrétienté, il y a encore la guerre aux quatre coins de la planète, et elle est souvent menée par des pays chrétiens, ou en tout cas des millions de chrétiens y participent. Mais, surtout, nous avons nos petites guerres privées. Ce peut être un accrochage de quelques minutes ou un conflit qui dure quelques jours. Ce peut aussi être une tension qui dure quelques années. Le commandement de présenter l’autre joue n’est pas plus raisonnable aujourd’hui qu’il l’était au temps de Jésus, ou qu’il l’a été durant les deux derniers millénaires. Mais il demeure la seule façon d’être parfait comme notre Père du ciel est parfait, et donc la seule façon d’entrer dans la vie éternelle.
La source des tensions interpersonnelles comme celle de toutes les guerres est que nous oublions que nous sommes possédés par la Vérité et nous prétendons la posséder. Nous pensons être les seuls propriétaires de la vérité, de Dieu, de la justice. Nous sommes toujours tentés de retourner à la morale de l’Ancien Testament, qui incarnait une religion territoriale. Dieu était conçu comme le dieu d’un peuple, d’une terre. Bien sûr, il y avait d’autres pays et d’autres peuples qui avaient leurs propres dieux; ils étaient tout au plus tolérés si on n’était pas en conflit ouvert avec eux.
Les grandes guerres mondiales de notre époque et beaucoup d’autres conflits nous ont montré la force destructrice de toute forme de racisme et de nationalisme. Toute limitation de l’amour à des limites spatiales, à travers des murs, qu’ils soient matériels ou autres, est une recrudescence du polythéisme du temps de l’Ancien Testament, qui limitait les dieux à des territoires spécifiques. Le monde politique des dernières années a fait renaître ce polythéisme ancien et, en tant que chrétiens, nous avons le devoir de ne pas nous laisser entraîner par cette mentalité.
La pire forme d’idolâtrie, cependant, est probablement celle qui consiste à transformer en idoles ses propres désirs et la recherche de ses satisfactions personnelles. L’exemple du roi Achab – dans la première lecture d’aujourd’hui – qui fait assassiner Naboth, parce que celui-ci ne veut pas lui vendre la vigne héritée de ses pères et qui a donc pour lui une valeur autre que vénale, est d’une méchanceté et d`une cruauté extrêmes ; mais ne trouvons-nous pas souvent la même attitude dans les relations entre pays ? Et même, quoique d’une façon moins violente et beaucoup plus subtile, ne la retrouvons-nous pas parfois dans nos relations de tous les jours avec nos frères et nos sœurs ?
Demandons au Seigneur la pureté du cœur qui nous permettra de voir Dieu en chaque personne et nous préservera de tout manquement à l’amour du prochain.
Armand Veilleux