23 août 2024– vendredi de la 20ème semaine du T.O.
H O M É L I E
Dans la plupart des sociétés qui n’ont pas encore été trop influencées par la culture moderne occidentale, la solidarité du clan ou de la famille élargie est une dimension extrêmement importante de la structure sociale. En réalité cette solidarité est essentielle à leur survie. Les conditions de vie peuvent être très simples et frugales ; les gens peuvent ne pas avoir tout notre luxe et nos gadgets, mais personne ne manque de l’essentiel. Lorsqu’une femme devient veuve et que des enfants deviennent orphelins, ils sont pris en charge par la famille élargie, à travers tout un réseau de relations. De même, l’étranger a un droit divin à l’hospitalité.
Toute cette structure sociale et ce réseau de relations sont souvent ébranlés par l’imposition faite à ces peuples d’un type moderne de villes industrielles. Apparaissent alors la misère et les bidonvilles, avec le passage d’une ville à l’autre à la recherche d’une pauvreté moins grande.
Quelque chose de semblable se produisit en Israël après l’établissement dans la Terre Promise. Des personnes qui avaient tout partagé entre elles durant le temps de leur existence nomade commencèrent à établir de petits empires privés. Des difficultés économiques résultèrent du passage d’une économie nomade à une urbaine, où les individus faibles deviennent plus vulnérables. Des étrangers, des veuves, des orphelins et de nombreux pauvres mouraient de faim sans que personne ne vienne à leur aide.
C’est dans ce contexte que se fit entendre la prédication de quelques-uns des grands prophètes et leur appel à la justice sociale.
Quelque chose de semblable se produisit plusieurs siècles plus tard, au temps de saint Benoît, lorsque la stabilité de l’Empire romain était fracassée par l’invasion et l’implantation dans l’Empire de nombreuses tribus venant du Nord et de l’Est. C’est dans ce nouveau contexte que saint Benoît demanda à ses moines de recevoir les étrangers et les pauvres comme le Christ. Et saint Grégoire, dans sa vie de saint Benoît, nous raconte quelques situations où Benoît donna aux pauvres toutes les ressources du monastère, jusqu’à la dernière goutte d’huile.
Tout cela nous offre un contexte plus large dans lequel nous pouvons comprendre le double précepte de l’amour dans l’Évangile d’aujourd’hui. Nous recevons l’appel à aimer Dieu et notre prochain avec tout notre cœur, notre âme et notre esprit ; c’est-à-dire avec un amour qui soit à la fois tendre et intelligent et qui implique tout l’être de celui qui aime, et tous les aspects de la vie de la personne aimée.
Aujourd’hui, comme au temps des prophètes, au temps de Jésus et au temps de saint Benoît, le monde subit des transformations radicales et rapides. Des millions de personnes sont réfugiées ou émigrées en pays étrangers ; et même à l’intérieur des pays dits développés, les faibles et les petits sont les victimes que le développement lui-même sacrifie sur l’autel du progrès. La misère y est souvent plus grande que dans les cultures et les périodes dites primitives.
Jésus ne nous appelle pas à un sentiment vague et sentimental de sympathie à l’égard des défavorisés ; il nous invite à un amour intelligent qui engage le cœur, l’âme et l’esprit, et qui prend compte de tous les besoins, tant matériels que spirituels des plus petits.
La situation n’est toutefois pas exactement la même que du temps des prophètes, de Jésus et de Benoît. Nous avons donc la responsabilité de trouver des réponses créatives et nouvelles à de nouvelles situations, soit dans nos vies personnelles, soit dans notre existence collective.
Cherchons dans l’Eucharistie -- le sacrement de l’amour -- la source d’un amour qui soit plus profond, plus vrai, concret et réel, aussi bien les uns à l’égard des autres que, en tant que communauté, à l’égard des nécessiteux qui viennent à nous et aussi ceux vers qui nous pouvons être invités à aller.
Armand Veilleux